lundi 26 mai 2008

Qu'y puis-je ?


Le 26 mai
Le sage considère sans alarmes les jours qui passent emportant comme fétus les passions du public.
Parfois une seule faute anéantit toute une vie d’honneur et de vertu.
La réputation ne s’estime pas au nombre des pages que l’on a écrites.
Un entendement excellement poli ne s’accompagne pas toujours d’un cœur compatissant.
Il existe des savants qui n’ont pas de problématique.
Pour avoir les suffrages des sots, faites des choses.
Fuyez ceux qui écrivent plus qu’ils n’ont lu.

Je suis en pénitence, sans ordi, sans gervita (le dessus), sans société. Hier mon humaine a procédé aux funérailles de sept mésanges (oiseaux jaunes et noirs avec petit gilet gris).

mardi 13 mai 2008

Poste à pourvoir


Le 13 mai
(Tiens, encore une date anniversaire.)
Je me figurais, et mes amis lecteurs (il en reste même après que j’ai cultivé « l’Art de se taire » de M. l’abbé Dinouart) se figuraient peut-être que j’allais mettre à profit ces belles journées de loisir, privilège des habitants de notre pays, pour me détendre l’esprit avec les fantaisies de mon imagination ; ou encore pour me perfectionner dans quelque science nouvelle ; ou tout simplement pour restaurer mes forces SUR LE MUR.
Je n’ai rien pu faire de tout cela.
En effet, j’ai été très occupée à suivre les procédures du recrutement d’un chercheur-saigneur de rongeurs au poste très convoité ouvert dans la spécialité « écosystèmes des prédateurs saisonniers » au département Farines et Moutures du Moulin de notre village.
L’on ne m’avait pas conviée à faire partie de la commission de recrutement comme membre extérieur. Mes états de service sont mal connus dans le pays.
Il ne m’a pas fallu longtemps pour comprendre que le profil « écosystèmes des prédateurs saisonniers » n’était qu’un masque grossier dissimulant une appellation occulte : « gestion du rat à longues moustaches du magasin du local du personnel ». Cette bête brute – pour parler comme M. Hobbes et autres honnêtes humains – a en effet un ornement pileux qui l’apparente au sieur Bové. Il faut être « dans le réseau » de notre village pour connaître ces détails et cet expédient (cette « versutia »).
Une commission féline ad hoc s’est donc réunie au Moulin pour « dans un premier temps » examiner les candidatures.
Il y avait 98 dossiers à examiner (il n’existe pas, c’est malheureux, de planning familial dans nos quartiers). Deux se sont révélés irrecevables parce que les candidats avaient été qualifiés dans la section 38, « Méthodes et pratiques des concerts dysphoniques », et non dans la 32e. Il a quand même fallu discuter de leur cas pendant cinquante minutes, au motif que leur fourvoiement pouvait être l’indice d’une capacité d’adaptation hors pair, et qu’entre la lecture littérale de la Loi et le risque de passer à côté d’un raminagrobis de première pointure, il n’y avait pas à balancer. Mais le président a fait remarquer que les recalés, saisis par un sentiment d’injustice bien légitime, pourraient ensuite porter l’affaire devant les tribunaux. Oh ! là là !
Il a donc distribué les 96 dossiers, ici et là, à droite et à gauche. Bougnat a eu 90 dossiers à examiner, parce qu’il connaît de bien près le poste ouvert au concours, de si près qu’il est en lustre sabbatique (il s’occupe depuis que le monde est monde du rat à tête ronde du vestiaire du personnel). Le dénommé Nesquik (dans ce village, il y a avalanche de noms idiots) a eu trois dossiers, et le président, qui s’appelle Apache, a pris les trois autres en disant qu’il devait se dépêcher car il n’avait que dix minutes pour attraper la dernière patache. (Il était déjà debout en disant ça.)
J’ai su sans aucune peine où Bougnat a entreposé ses 90 dossiers : il les a mis chez mon humaine, derrière un arroseur Gardena. Je suppose qu’il a pensé qu’un artifice aussi hydraulique, humide et mouillant en même temps que puissant et dynamique (si bien qu’on le croirait inventé par M. Salomon de Caus en personne) ne pourrait inspirer qu’horreur et répulsion à la gent féline impliquée dans le recrutement.
C’était sans compter avec le beau temps (que les jardiniers nomment déjà « la sécheresse ») qui a provoqué la mise en service de cet ustensile.
Que d’exclamations !
- Qu’est-ce que c’est que ça ? Il en a, un culot, ce Bougnat, etc., etc.
Avec ma numaine, nous avons donc regardé les dossiers après avoir avec soin dénoué la ficelle.
C’est instructif.
Il y a un dossier qui m’a bien plu. La candidate avait une thèse sur « genre et prédation », où elle parlait de MOI, disant que la maternité ne m’avait pas empêchée de détruire en trois semaines la totalité des rongeurs du champ du voisin. (Il fallait bien vivre. L’eût-elle souligné que son analyse me fût apparue irréprochable.) Mais mon humaine m’a fait voir que regardé de près, ce dossier montrait que cette jeune personne n’avait à son actif qu’un seul mulot, qui figurait dans plusieurs rubriques. (Encore sa capture était-elle annoncée comme « à venir ».)
Certains dossiers venaient de loin, même du chef-lieu d’arrondissement où il y a une grande école de chasse.
L’on voyait bien que tous les candidats avaient sué dans la rédaction de ces dossiers, qu’il y en avait d’innocents comme le chaton à la mammelle, mais aussi de roués et madrés, et des vieux routiers, et certains qui avaient de bons parrains.
Nous reficelâmes le paquet exactement comme il l’avait été.
Puis le journal donna des conseils de présentation pour l’oral, qui au Moulin s’appelle une audition. Il recommandait de ne pas mâcher le népéta la veille, de faire une toilette ni insuffisante ni excessive (dans le juste milieu préconisé par M. Aristote), de ne paraître ni rodomont ni craintif, de s’attendre quand même à avoir les pattes moites.
Vendredi prochain, la commission se réunira une seconde fois pour entendre les rapporteurs. La reficelle est à un atome près comme était la ficelle : d’apparence intacte. Je gage que Bougnat ne la touchera que vendredi. Il est en ce moment dans deux autres commissions qui lui font sillonner la région.
Mon humaine m’a donc mis entre les pattes certaine étude (http://www.laviedesidees.fr/Le-localisme-dans-le-monde.html).
- Ce recrutement au Moulin me fait un peu penser à l’Université française, a-t-elle observé en se replongeant dans sa lecture.
- Non, ça n’a rien à voir. Nos commissions à nous sont généralement incompétentes, dépourvues de prudence et d’équité. Mais regarde donc l’addition à cette étude : http://www.laviedesidees.fr/IMG/pdf/20080512_localisme2.pdf.