vendredi 27 juin 2008

Des nouvelles de Mlle Krazy



Bien que je sois, non sans condescendance, obstinément désignée par Mlle Krazy dans son "journal éphémère" comme "son humaine", et que cette désignation me range dans une catégorie tout à fait subalterne, je me vois obligée, devant un silence dont certains s'alarment, de donner quelques nouvelles de cette chatte illustre.

D'abord, il faut savoir qu'elle est depuis peu amoureuse : l'heureux élu est fort jeune, grand de taille, il a les yeux couleur pastis (consommer avec modération), une face toute ronde, un air sempiternellement étonné, de longues jambes et pas de fesses (toute ressemblance avec une personne, etc.). Il n'a absolument pas de manières, est très cavaleur mais Mlle Krazy, à l'exemple de nombreuses héroïnes de la fable et de l'histoire, prend son indifférence pour une marque paradoxale de passion excessive à son égard. Bref, les jeux de balles et d'oiseau n'amusent plus notre héroïne, les livres lui tombent des pattes et elle passe toutes ses nuits dehors.

Les élections au Moulin, qui tenaient en haleine ses lecteurs depuis qu'elle avait révélé les procédures peu louables de la présélection des dossiers, n'ont pas eu lieu : comme le dénommé Bougnat voulait à toute force faire passer SA candidate, qui se trouvait en même temps être sa chérie, et que cette jeune personne n'avait pas été qualifiée par l'Archiconfrérie des Carrières aux fonctions de chercheur-saigneur de rongeurs, il a fallu mettre le poste au congélateur jusqu'à l'an prochain. Espérons que l'impétrante ne sera pas d'ici là tombée en disgrâce !

En attendant, Bougnat l'Universel s'est associé avec Loriot et Berlingot pour monter un vaste projet de recherche intitulé "Coucous et pompes". Alphonse (le ci-devant très cher ami de Mlle Krazy) n'est pas content car il n'est pas dedans. Il espérait pourtant présenter une installation relative à la spirale logarithmique composée d'escargots vivants (voir le cliché qu'il nous a obligeamment communiqué, ce dont nous le remercions très vivement), idée pompée au fameux architecte Le Corbusier. Tous ceux qui ont des idées pompées ici et là, comme ceux qui sont entraînés à occuper les nids, niches et dadas d'autrui sont les bienvenus dans le projet de recherche "Coucous et pompes". Nul doute que Mlle Krazy, quand elle aura fini de se prendre pour la princesse de Clèves, ne donne toutes les informations souhaitées sur cette grande entreprise scientifique destinée à promouvoir la citation tronquée, le trapèze volant, le fusil cintré pour tirer dans les coins et l'eau déshydratée.

Nous pensons pour la distraire de ses amours mal assorties conduire Mlle Krazy à l'opéra, voir "Le Songe d'une nuit d'été" de Benjamin Britten.

lundi 9 juin 2008

Miséricorde


Voilà ! je suis rentrée en grâce ! On m'a ouvert la Porta del Perdono !

Entre-temps, je n'ai pas fait pénitence, mais j'ai lu un livre d'un certain M. Jünger appelé "Orages d'acier" qui me procurera le moment venu d'utiles arguments.

Ci-dessus un retable de Sassetta qui se trouvait justement non loin de la Porta del Perdono au dôme de Sienne, histoire de changer de sujet...

lundi 2 juin 2008

Le 2 juin



Là, ça va mal. Où trouverais-je encore la force de ces aphorismes et gentils haïkus que je tournais la semaine passée tout en confiant tristement à mon journal éphémère mon exclusion sociale ?
D’abord, il y a eu du monde, et pas des pratiquants du développement durable ni de l’otium, c’est le moins que l’on puisse dire. J’étais pleine de bonne volonté, j’avais décidé de faire des efforts pour me montrer sociable, en signe de contrition à la suite de l’affaire des sept oiseaux jaunes. Dès potron-minet, je m’activai de la cuisine au jardin, étant continuellement « dans les jambes » des humains affairés, qui ne manquaient pas de dire : « Tu vas me faire tomber ! » avant d’ajouter : « C’est un comble, cette Krazy est tellement folle ce matin qu’elle nous fait prononcer des mots d’aïeul arthritique ! » Je sentais que je n’étais pas totalement rentrée en grâce, ces choses-là sont inexprimables. Mais je faisais contre mauvaise fortune ronron en me rappelant certaines maximes stoïciennes et évangéliques. Cependant, à l’heure de la pause prandiale d’un nourrisson, j’ai eu un choc terrible.
Je m’étais approchée de ces préparatifs désorganisateurs de maisons en pensant qu’ils me rappelleraient l’époque où répandue sur la pierre fraîche je pratiquais l’allaitement naturel avec mes six mitous en chantonnant de béatitude. J’ai été très déçue. J’ai d’abord vu un emballage de carton très épais, qui enveloppait un autre package transparent, lui-même embeddant (ce mot existe) un récipient qui à première vue contrefaisait une face d’ours. Vous qui me lisez, vous devez aussitôt vous dire : « Et là, Mlle Krazy immanquablement songe aux objets de la Kunstkammer de la Hofburg à Vienne, à tel hanap de chalcédoine en forme de tête de rhinocéros qu’elle sait être au château d’Ambras, à un nautile monté en surtout de table qui est à la Voûte verte (Grüne Gewölbe) du palais de Dresde. » Oui et non. Je n’ai pas eu le temps d’entrevoir dans ma tête ces merveilles de l’art et de la nature. Le récipient dont je parle était en plastique jaune. Les oreilles contenaient, je crois, de la compotée de racines (le fabricant n’est quand même pas assez fourbe pour employer l’expression traditionnelle « purée de carottes »), et le museau était plein, à ce que j’ai entendu, de confit de canard (je n’aurais jamais cru que ce mets fût adapté à des papilles de quinze mois). L’ensemble n’avait pas meilleure allure ni alléchant fumet que le manger d’Alphonse, mon très cher ami, quand on lui achète « des boîtes du Lidl » (la première des œuvres de miséricorde corporelle pour les chrétiens).
Je me dis que quand l’enfant sera d’âge scolaire, il coûtera très cher à la communauté parce que les rectorats d’académie devront rivaliser d’imagination pour concocter « la semaine du goût », « la semaine du commerce équitable » ou les visites coordonnées à grand renfort d’heures de concertation, d’une usine Nestlé et d’une exposition Jordaens. Je les vois d’ici, les rectorats, créer des cellules et des délégations, organiser des planques, coordonner des ressources, présenter des objectifs, bâtir des socles, concevoir des journées, favoriser des actions. Bref, il leur faudra susciter un tsunami de mesures visant à améliorer le rapport taille-poids des enfants et des adolescents, ce qui est tout de même une tâche plus digne que celle à laquelle nous convient les billevesées que M. Platon nous raconte dans ses Lois et sa République. (Tiens, est-ce un hasard, voilà que j’écris comme un médiocre étudiant de L1…)
Les hôtes sont sacrés : personne n’a osé leur dire que l’on pouvait peut-être essayer de passer un peu de rôti de veau à la moulinette, avec quelques vrais légumes ?
J’en ai eu marre, et je suis allée traîner dehors. C’est là que je l’ai entendue zinzinuler, la fauvette (voir http://www.chants-oiseaux.fr/). Elle était avec son mari, et ils m’ont fait découvrir non pas le nestlé mais le nest, installé à moins d’un mètre de haut, dans un buis. Je suis allée aussitôt ramasser un coolpix et je les ai photographiés, les cinq petits.

Il y a des dimanches comme ça, d’ennui, de mélancolie, de langueur indéfinissable, qui tournent à la tragédie.
Les fauvettes ne voulaient pas tellement jouer à la balle, elles étaient tout de suite ko. Ensuite, tout s’est passé très vite : un torchon mouillé a volé au-dessus de ma tête comme le glaive de l’ange du Seigneur dans la peinture de Masaccio à Santa Maria del Carmine, j’ai entendu des imprécations horribles. Maintenant l’ostracisme radical, je n’y comprends absolument rien.