vendredi 20 novembre 2009

Alphonse dans les airs


20 novembre
Là, je vais tout vous dire : lundi, mon humaine était dans les airopots. (Moi, j’avais toute la bibliothèque d’histoire de l’art et la Bergère interdite pour moi toute seule.)
Qu’est-ce que la Bergère interdite ? demanderez-vous avec une curiosité bien légitime.
C’est, répondrai-je, le thème porteur d’un projet de fédération d’équipes de recherche émergentes qui devrait voir le jour dans le cadre du prochain quadriennal si des arbitrages définis comme sanglants en haut lieu au niveau du CRA, du CRIP, du SPOUT, du VP du CRADO et du CS du PRUT – et autres DQDEAANUC (décideurs-qui-doivent-encore-apprendre-à-nouer-une-cravate) - ne l’étouffent pas dans l’œuf avant. Au mieux, elle sera peignée à la marge (PALM), dit-on. Hélas, PALM, cette expression fameuse et imagée, j’échoue à lui associer une quelconque représentation mentale. (On ne me peigne pas : au salon domestique de beauté, on me caresse énergiquement au moyen d’un bout de mousse signé Apple qui tapissait l’emballage du mac. Quant à la marge, j’ai essayé de la découvrir et cela m’a donné le tournis.)
Qu’est-ce que les airopots ? poursuivrez-vous avec l’insistance du sujet animé par la volonté de savoir chère au défunt Monsieur Foucault. Je l’ignore, répondrai-je, car jamais on ne m’y a conduite. « Déjà que tu ne supportes pas de voyager en tôle à roulettes. » Alphonse (mon adoré), lui, connaît depuis peu les airopots, car il est allé (en classe à faire, précise-t-il à qui veut l’entendre) au Timor oriental afin de faire le président de séance d’une demi-journée d’études sur la gestion des risques majeurs dans les lieux d’exposition alternatifs (en tant que directeur de la Buanderie, évidemment). Ce déplacement coûteux aurait dû obtenir un financement de la Région, car son impact sur la coopération avec les populations timoriennes en termes de développement durable au niveau du grenouille environnemental est plus ou moins pertinent. Mais malheureusement, la subvention se perdit dans les sables comptables à cause d’un tout petit grain de sable : une consonne ! Alphonse, tesoro mio, ayant entrepris de rédiger sa demande de subvention, écrivit partout : « Bougogne » au lieu de « Bourgogne ». La demande fut confiée à un audit aussi dispendieux que tatillon et bougonnant, agent vétilleux du respect de l’orthographe et de l’onomastique, et Alphonse (lumière de mes yeux), fut oublié dans la distribution. Si bien qu’une fois de plus, il dut voyager dans le bagage d’un élu. L’élu faisait partie de toute une délégation dégoulinante de l’onction du suffrage universel (et de satisfaction), qui devait ouvrir la demi-journée. Ils parlaient et riaient tous très fort dans la salle d’attente tandis qu’Alphonse, dans le bagage à main, osait à peine respirer (« retenait son vent », comme eût dit M. Jean de La Fontaine). Il fut ensuite rudement secoué et lorsqu’un appareil détecteur d’armes sonda le bagage, il crut que son estomac était plein de papillons. Pendant ce temps, les élus étaient semble-t-il fouillés au corps sans ménagement aucun et avaient arrêté de rire. A l’arrivée, après des heures assez statiques dans l’obscurité du bagage et le bourdonnement continu d’un moteur, Alphonse, mein Schatz, se retrouva exhibé à la vue de tous les habitants de l’airopot de la capitale du Timor, car un employé avait décidé que tous les voyageurs devaient ouvrir leur bagage. Comme il n’était ni oiseau ni porc, mais chat porteur et maître de quelques puces gentilles, on ne lui dit rien. L’élu était si abruti par les heures de vol, par ses chaussettes de contention, par les boissons gratuites, par le décalage horaire dû au « mouvement et rotondité de la machine mondaine » (ce qui veut dire en français ancien notre planète Terre, et non le postérieur rebondi et trémulant de l’hôtesse), par le discours à prononcer qui n’était pas prêt, l’attaché attachant étant grippé, qu’il ne vit même pas mon ami. Ou plutôt il le prit pour un pull-over noir un peu fatigué quoique bougeant et griffu et il ne broncha point. (On lui avait dit que dans le milieu de l’art alternatif, il faisait bon d’arborer un pull-over noir.) Bref, Alphonse put sans encombre rejoindre la salle où se tenait la demi-journée d’études, présider sa demi-séance et même poser des questions aux intervenants. Il laissa les autres aller à la plage ou ailleurs (surtout ailleurs) et revint chez nous de la même manière qu’il était parti. De sorte que les airopots, je les connais pour ainsi dire par procuration. Mais ce n’est pas une chose bien intéressante, d’après moi, et j’aime mieux me régaler des aventures exotiques de M. Filippo Sassetti, M. Cristoforo Buondelmonti, M. Robert-Robert ou M. Ciriaque d’Ancône. Bientôt, je vous raconterai jusqu’à quel point un trésor d’orfèvrerie du siècle seizième peut tromper son inventeur et comment notre maison est devenue un lieu de mémoire.