vendredi 25 juillet 2008

Bonnes vacances !


Le 25 juillet
Alphonse a organisé une grande fête au Silo, avant qu’il ne soit envahi par le ballet des remorques de céréales (d’après moi, qui ai lu M. Félibien, ce fut une fête à programme ; d’après Sylvain Sylvestre, « une vache de teuf »). Une fois de plus, je fus mise à contribution pour rédiger cet avertissement :

Je supplie humblement le Spectateur de supporter les défauts de la fête dénommée Alfonséide ou les Plaisirs du silo enchanté, & considérer qu’étant chat, je n’ai pu concevoir tant de belles matières sans faillir en plusieurs endroits, protestant avec sincérité que j’aurai une parfaite obligation à ceux qui me feront l’honneur de m’avertir des choses qui ne seront pas selon leur goût, & je tâcherai de les satisfaire l’été prochain. Que le Spectateur veuille bien se souvenir qu’un Ange même en ces occasions ne pourrait pas contenter tout le monde. Il me suffit qu’on sache que j’ai fait ce que j’ai pu, et que j’aurais mieux fait si j’avais su.

Avant de débrancher l’ordi pour quelques semaines d’hypersieste et de chasse au gros, je prends provisoirement congé de mon journal et souhaite à tous un été enchanté.

lundi 21 juillet 2008

Illustres d'hier et d'aujourd'hui



Le 21 juillet
Il paraît que je suis en vacances – ou en vacance, ou vacante, vacante pour quelque chose, bien sûr, ou quelqu’un. « Toi, tu es en vacances », me répète-t-on à l’envi en me délogeant régulièrement des fauteuils principaux, particulièrement de certain profond fauteuil à oreilles. Or j’ai décidé de passer mes vacances dans le fauteuil à oreilles ; je l’ai loué pour toute la saison, et en outre pour la basse, l’arrière et la mauvaise saison. Je ne voudrais pas avoir à faire de réclamations, mais je ne vois pas pourquoi ma location de vacances devrait être déménagée sous prétexte de grand ménage compulsif, ni occupée par des derrières humains, ces séants obtus qui n’ont que faire de fauteuils audiophoniques.
Tandis que moi, il me faut un fauteuil à oreilles, car c’est là que j’ai des voix. Parfaitement, des voix, comme la Pucelle de Domrémy, que M. l’abbé Richelieu, ministre, grand homme d’Etat, avait mise dans sa galerie d’hommes illustres quoiqu’elle fût fille (ce qui prouve que cet abbé n’était pas n’importe qui).
- Mais pourquoi l’appelles-tu « Monsieur l’abbé » ? m’apostrophe-t-on. Tu sais quand même qu’il a été élevé à la pourpre cardinalice ?
- Je sais ça. Mais je ne pense pas offenser la mémoire de ce grand personnage avec un peu de familiarité. Qui sait quels noms et titres lui donnaient in petto les félins qui étaient ses familiers ? « Arrrmand…», ronronnaient-ils sans doute.
(Oh ! Dieu ! puissent ces humains me laisser tranquille ! Il faut toujours qu’ils aient le dernier mot, qu’ils fassent rugir une machine quelconque, mesurent le temps de façon maniaque et entreprennent cent projets stupides, au risque d’oublier de remplir de lait à l’eau ma tasse en vieux Longwy ; hélas, elle a été très mal restaurée, ce qui me tourmente bien.)
Donc j’ai des voix. Ou plutôt des bourdonnements, des chuchotements. Cela a commencé avec les éoliennes, dont il y a ici ce que l’on appelle un parc (tu parles !), et qui émettent des ondes plus néfastes que fastes, à l’exemple du wifi, des portables et des chauffe-casseroles à induction, sans parler de la roulotte suréquipée de « l’Eternel Bricolo ».
Je ne peux pas m’empêcher de parler ici de l’Eternel Bricolo, héros de notre temps, gloire de notre rue, incarnation des vertus de la modernité conquérante et technologique. L’Eternel Bricolo a déjà tout : plusieurs bagnoles, des quads, des motos de toutes tailles et marques, un petit tracteur, des vérandas hermétiques qui ne connaissent pas la température tempérée, des foyers à enfumer et cramer la saucisse en plein air (providence d’Alphonse, mon très cher ami, par les soirs d’été), des volets roulants automatiques après les portes, plusieurs grands plats en tôle sur le toit, une cheminée emballée en plastique bleu depuis la tempête de 1999 (de sinistre mémoire), une piste d’atterrissage en pavés autobloqués, etc., etc.
Or il y a deux ans, l’Eternel Bricolo a acquis (pour le prix d’un travers de porc) un véhicule gigantesque, véritablement hors échelle, d’une espèce presque ignorée dans la chrétienté et dont seuls les plus audacieux voyageurs dans le temps et l’espace ont pu avoir connaissance. Au demeurant, nul ne sait exactement ce que c’est. Deux écoles s’affrontent : les uns tiennent que c’est l’un de ces camions dans lesquels on faisait naguère monter les écoliers, écolières et les travailleurs, travailleuses pour les soumettre à un examen de radiologie embarquée ; les autres pensent que c’est une cabane de chantier sur roues. Quoi qu’il en soit, le monstre n’a que trois petites fenêtres haut placées, comme s’il s’agissait de dissimuler l’intérieur à la vue. (Je compte sur mon ami Alphonse pour tenter de s’y introduire, mais c’est peut-être une entreprise risquée.)
Depuis deux ans, l’Eternel Bricolo vaque à l’aménagement de cet engin qui obstrue les fenêtres de toute sa maison. L’année dernière, on a bien cru qu’il allait larguer les amarres : il s’était enfin ébranlé pesamment et malodoramment ! Hélas, ce n’était que pour aller se mettre à l’abri dans une grange voisine, pendant que l’Eternel Bricolo partait dans une authentique caravane. Au bout de trois jours, il était déjà de retour, bronzé et maugréant ; la première chose qu’il a faite, c’est d’aller chercher le monstre et de se mettre à le poncer : sssszzzzzssssssszzzzz.
Qu’en sera-t-il cet été ? L’événement dans notre rue, c’est que le monstre présente depuis hier sa poupe avec une immatriculation toute neuve et son tribord (alors que nous n’avons eu que la proue et le bâbord à contempler pendant deux ans), où s’ouvre une petite porte. J’ai aperçu Madame Eternel Bricolo gravissant un escalier en vis pour y porter un découpe-pizza électronique. Le départ est-il imminent ? Rien de plus palpitant que mes vacances !

vendredi 11 juillet 2008

J'écris un discours


Le 11 juillet
Alphonse, mon très cher ami (personne ne me croit capable des errances sentimentales dont mon humaine, cette indiscrète personne, a fait état récemment dans mon propre blog), Alphonse (tesoro mio), disais-je, a besoin des services de ma plume. Et pas pour lui ! Et pas pour n’importe qui ! Pour le Premier Manageur du Conseil Général ! On peut dire que sa fréquentation des valises à roulettes des élus et décideurs, il l’a rentabilisée !
En effet, son projet d’installation « live » au Musée a échoué à cause de l’humeur irascible de Loriot, et quand Loriot vocifère, on le nommerait plutôt Doriot. Tout autre qu’Alphonse se fût démonté sous le coup. Mais a-t-on jamais vu Alphonse démonté ? Les mauvaises nouvelles, les chocs affectifs, les avanies de tous ordres, les scélératesses venant d’en haut comme d’en bas, les revers de fortune, les choses coriaces à avaler (certaines lettres de refus poli sont pareilles à la peau plastifiée du saucisson), bref, le passage dans son ciel de la planète Saturne, ou pire, de la planète Pluton, laissent Alphonse impavide. Les échecs le fortifient au lieu de l’abattre. « Ce n’est pas la peine de sortir ton Plutarque ou ton Corneille, m’a prévenue Alphonse : c’est ce que l’on appelle de nos jours la résilience, dans notre langage à nous c’est retomber sur ses pattes, c’est la moindre des choses. »
Mon excellent ami a donc aussitôt mis au placard ce dossier et en a produit un autre entièrement différent. Il s’agit cette fois d’un spectacle théâtral, que dis-je, d’un festival estival de théâtre de rue. (Que l’on me pardonne cette succession de pléonasmes.)
- C’est bien tard, lui ai-je dit, pour proposer son projet. Toutes les subventions sont distribuées depuis longtemps. On n’attend après toi. (J’avais été un peu vexée par ses allusions aux grands auteurs.)
- Combien de fictions trompent cette féminine cervelle ! s’est-il exclamé.
Je repris l’avantage :
- Tu ne vas pas embêter le monde avec tes fantasmes bien connus : la grande guerre des chats contre les rats, l’harmonium, le développement durable, le tuyau, l’insecte…
- Aucunement. Ignores-tu que nos élus locaux eux-mêmes débordent d’imagination pour surprendre le public ? A quoi bon se tracasser encore pour créer, mettre en scène, répéter quoi que ce soit ? Le Premier Manageur m’a déclaré, non sans me souffler aux moustaches son haleine sentant le kir : « Alphonse, j’ai l’écrin, tu es le bijou. J’ai les bénévoles, tu es le professionnel. J’ai le faire-savoir, tu as le savoir-faire. J’ai la légitimité, tu as l’expression… » Là, il s’arrêta, ce qu’il venait de dire le dépassait.
- Et alors ?
- Alors il faut que je lui écrive son discours. J’ai les mots-clé.
- Mais le spectacle, qu’est-ce que c’est ?
- Aucune importance. Le thème, car il faut un thème, c’est « Roulettes et roulottes ».
- Oui, là au moins tu as une vraie compétence.
- Bon, écris, maintenant… Une formidable vitrine pour notre territoire…
- Je mets « incontournable », c’est mieux que « formidable ».
- Oui. Notre patrimoine revisité…
- Notre RICHE patrimoine, ou exceptionnel.
- Il faut parler de la Renaissance…
- La Renaissance ? Leon Battista Alberti, Ange Politien, tout ça ?
- Non. Il suffit de mettre que c’était une période de bouleversement extraordinaire qui annonce déjà les Lumières, le siècle 21, etc. Et là, il faudrait parler de la guerre de 14-18, parce que c’est l’autre axe des projets culturels de cette année.
- C’est dur… Bien, poursuivons.
- Et puis, ce festival, c’est un mélange de purs joyaux et de crotte de bique, il faut le dire mais pas comme ça…
- Non, bien sûr. Je vais écrire : « Donner à voir et à entendre dans le même week-end la musique ancienne et la modernité sociale, c’est le signe d’une vitalité culturelle qui fait sienne la volonté de s’offrir au plus grand nombre et aux sensibilités les plus différentes. Le Département est le partenaire naturel et sans réserves d’une telle démarche.»
- Tu ne peux pas mettre « opportunité » quelque part ? Et puis la paix à bâtir, les générations futures, le développement durable, et un autre dont je n’arrive plus à me souvenir.
- Facile ! Attends, je termine… « Roulettes et roulottes est un événement majeur dans le Grand-Est… » On ne met rien sur l’arrivée du CFHR (Chemin de Fer Horriblement Rapide) ?
- Non, ça c’était l’année dernière. Sois moderne.
- Je ne suis jamais moderne, mon cher. Il me suffit d’être actuelle et intempestive.
- … Parfait ! Ton texte est parfait !…Dis donc, je fais quand même 60 spectacles, sans parler du « off ».
- Quel prodige ! Je n’arrive pas à comprendre comment tu t’y es pris.
- Fastoche ! Il y a dans la ville bien plus de 60 matous en résidence d’artistes. Quand on est en résidence, et qu’on veut éviter d’avoir des fourmis dans les pattes, on est prêt pour la déambulation, or tous les spectacles sont déambulatoires, poétiques et de terrain. Tu viendras ?
(Oui, je viendrai, je ne manquerais cela pour rien au monde, puisque c’est l’ouvrage d’Alphonse, mon inimitable ami.)