jeudi 31 décembre 2009

J'envoie mes vœux

http://www.jacquielawson.com/viewcard.asp?code=2159087195307&source=jl999


Chers amis de mon journal éphémère, je vous souhaite une très belle année 2010,

Avec pas plus de deux zéros dans votre environnement immédiat,

Une année aussi rieuse que sérieuse,

Qui sourie du sérieux et se rappelle longtemps le moindre sourire,

Une année avec des regards partagés,

Des paroles qui disent quelque chose,

Des gestes de paix,

Une année avec

Des éoliennes enterrées,

Des amitiés durables,

Des souris de feutre recyclable

Qui ne font pas d’attentat-suicide dans la zone des potiches,

Des croquettes pour riches,

Des oiseaux emplumés qui ne donnent pas d’allergie,

Des jeux de balle trois fois par jour et un bel ordi

Sur un tapis de Turquie,

Une tôle à roulettes qui reste au garage,

Si vous êtes un peu snob un peigne d’ivoire remontant à la Ve République,

Sinon une main aimée

Et beaucoup de baisers

Ceux avec les yeux

Et les autres.

vendredi 20 novembre 2009

Alphonse dans les airs


20 novembre
Là, je vais tout vous dire : lundi, mon humaine était dans les airopots. (Moi, j’avais toute la bibliothèque d’histoire de l’art et la Bergère interdite pour moi toute seule.)
Qu’est-ce que la Bergère interdite ? demanderez-vous avec une curiosité bien légitime.
C’est, répondrai-je, le thème porteur d’un projet de fédération d’équipes de recherche émergentes qui devrait voir le jour dans le cadre du prochain quadriennal si des arbitrages définis comme sanglants en haut lieu au niveau du CRA, du CRIP, du SPOUT, du VP du CRADO et du CS du PRUT – et autres DQDEAANUC (décideurs-qui-doivent-encore-apprendre-à-nouer-une-cravate) - ne l’étouffent pas dans l’œuf avant. Au mieux, elle sera peignée à la marge (PALM), dit-on. Hélas, PALM, cette expression fameuse et imagée, j’échoue à lui associer une quelconque représentation mentale. (On ne me peigne pas : au salon domestique de beauté, on me caresse énergiquement au moyen d’un bout de mousse signé Apple qui tapissait l’emballage du mac. Quant à la marge, j’ai essayé de la découvrir et cela m’a donné le tournis.)
Qu’est-ce que les airopots ? poursuivrez-vous avec l’insistance du sujet animé par la volonté de savoir chère au défunt Monsieur Foucault. Je l’ignore, répondrai-je, car jamais on ne m’y a conduite. « Déjà que tu ne supportes pas de voyager en tôle à roulettes. » Alphonse (mon adoré), lui, connaît depuis peu les airopots, car il est allé (en classe à faire, précise-t-il à qui veut l’entendre) au Timor oriental afin de faire le président de séance d’une demi-journée d’études sur la gestion des risques majeurs dans les lieux d’exposition alternatifs (en tant que directeur de la Buanderie, évidemment). Ce déplacement coûteux aurait dû obtenir un financement de la Région, car son impact sur la coopération avec les populations timoriennes en termes de développement durable au niveau du grenouille environnemental est plus ou moins pertinent. Mais malheureusement, la subvention se perdit dans les sables comptables à cause d’un tout petit grain de sable : une consonne ! Alphonse, tesoro mio, ayant entrepris de rédiger sa demande de subvention, écrivit partout : « Bougogne » au lieu de « Bourgogne ». La demande fut confiée à un audit aussi dispendieux que tatillon et bougonnant, agent vétilleux du respect de l’orthographe et de l’onomastique, et Alphonse (lumière de mes yeux), fut oublié dans la distribution. Si bien qu’une fois de plus, il dut voyager dans le bagage d’un élu. L’élu faisait partie de toute une délégation dégoulinante de l’onction du suffrage universel (et de satisfaction), qui devait ouvrir la demi-journée. Ils parlaient et riaient tous très fort dans la salle d’attente tandis qu’Alphonse, dans le bagage à main, osait à peine respirer (« retenait son vent », comme eût dit M. Jean de La Fontaine). Il fut ensuite rudement secoué et lorsqu’un appareil détecteur d’armes sonda le bagage, il crut que son estomac était plein de papillons. Pendant ce temps, les élus étaient semble-t-il fouillés au corps sans ménagement aucun et avaient arrêté de rire. A l’arrivée, après des heures assez statiques dans l’obscurité du bagage et le bourdonnement continu d’un moteur, Alphonse, mein Schatz, se retrouva exhibé à la vue de tous les habitants de l’airopot de la capitale du Timor, car un employé avait décidé que tous les voyageurs devaient ouvrir leur bagage. Comme il n’était ni oiseau ni porc, mais chat porteur et maître de quelques puces gentilles, on ne lui dit rien. L’élu était si abruti par les heures de vol, par ses chaussettes de contention, par les boissons gratuites, par le décalage horaire dû au « mouvement et rotondité de la machine mondaine » (ce qui veut dire en français ancien notre planète Terre, et non le postérieur rebondi et trémulant de l’hôtesse), par le discours à prononcer qui n’était pas prêt, l’attaché attachant étant grippé, qu’il ne vit même pas mon ami. Ou plutôt il le prit pour un pull-over noir un peu fatigué quoique bougeant et griffu et il ne broncha point. (On lui avait dit que dans le milieu de l’art alternatif, il faisait bon d’arborer un pull-over noir.) Bref, Alphonse put sans encombre rejoindre la salle où se tenait la demi-journée d’études, présider sa demi-séance et même poser des questions aux intervenants. Il laissa les autres aller à la plage ou ailleurs (surtout ailleurs) et revint chez nous de la même manière qu’il était parti. De sorte que les airopots, je les connais pour ainsi dire par procuration. Mais ce n’est pas une chose bien intéressante, d’après moi, et j’aime mieux me régaler des aventures exotiques de M. Filippo Sassetti, M. Cristoforo Buondelmonti, M. Robert-Robert ou M. Ciriaque d’Ancône. Bientôt, je vous raconterai jusqu’à quel point un trésor d’orfèvrerie du siècle seizième peut tromper son inventeur et comment notre maison est devenue un lieu de mémoire.

samedi 17 octobre 2009

Pourquoi je n'écris plus


Le 17 octobre
Le monde des internautes s’est ému. « Cette Kat, qu’est-ce qu’elle devient ? est-elle partie en voyage ? en pèlerinage ? est-elle même entrée en religion ? s’est-elle retirée dans un monastère myofère où la Mère supérieure l’a affectée à l’accueil des hôtes à deux pattes ? dans un ashram où toute de jaune vêtue, rasée de la tête au petit bout de la queue, elle apprend à contrôler ses muscles vagaux ? dans un béguinage où la règle douce lui autorise le lit de plumes à toute heure ? dans une maison des sciences du chat où elle trône sur un siège tournant entre un sanseveria et une machine à catnip ? Oui, que doit-on imaginer ? qu’elle a renoncé à écrire ? qu’elle écrit désormais exclusivement sur du papier ? que le mac lui brûle les pattes ? ou qu’il est en panne ? qu’elle subit une sorte de censure de la part de son humaine, soudain aigrie par le succès du blog éphémère ? etc., etc. »
Il est vrai que j’ai reçu en présent, venant d’une fameuse boutique parisienne non encore démodée, un adorable petit carnet où l’on me voit en effigie. Mais je n’y couche que mes pensées les plus personnelles, avec mes comptes, comme ont toujours fait les plus grands écrivains et même un peintre, M. Pontormo, sans s’embarrasser de l’incongruité du mélange.
« Cette K., elle nous manque avec ses réformes de l’U frappées au sceau du bon sens, ses vues originales sur la société, la culture et l’inculture, la poésie de ses évocations de la campagne, des trains, des tôles et des passereaux, l’acuité que revêt chez elle la critique sociale, la page « buanderie » où le lecteur peut suivre les efforts d’Alphonse, son ami, pour promouvoir l’art d’aujourd’hui avec une audace et une pertinence rares dans son milieu. Mais ce qui nous manque le plus (disent les lecteurs), c’est sa sincérité. »
Alors là, lecteurs, je vous arrête. La sincérité, c’est plutôt fait pour…, vous savez, ces créatures qui aiment à se promener dans la rue au bout d’une ficelle, frétillantes, reniflantes, cabotines, insupportables et toujours si prêtes à s’excuser de l’être qu’elles rendent presque odieuse la vertu d’humilité. (Non, je ne décris pas là un humain à portefeuille, mais un rogneur d’os, horresco etc.)
Je vais enfin m’expliquer sur ce long silence. D’abord, sachez que j’ai depuis quelques mois déjà quitté mon F2 de la campagne et mon tas de chiffons azuréens. J’ai retrouvé l’Urbs, le belvédère d’où j’envisage toute l’Europe, les tôles à roulettes, et maintenant la-Porte-en-travaux, travaux qui causent des embouteillages monstre, sans parler du match contre l’OM, qui nous amène aujourd’hui des foules jeunes vêtues de blanc, parlant un idiome inconnu et poussant du pied des boîtes vides. De tels spectacles, souvent, laissent l’observateur pantois.
J’ai renoncé à m’amuser en châtiant la langue, car c’est aussi laborieux que de vider la mer avec la petite cuiller qui sert chaque matin à me supplémenter en algues dentifrices. D’autant plus que l’on est parfois pris de court par des nouveautés avortées. Prenez par exemple « bis repetita ». En septembre, entendant divers publicistes employer « de façon récurrente, je dirais », cette latine locution, je me suis dit : « Ma fille, voilà un truc à épingler dans ton blog. » « Il a plu hier, et demain, bis repetita. » Une voix culturelle du matin l’employa même substantivement : « Le ministre avec cette mesure fait un bis repetita. » J’avais tort : « bis repetita » ne survécut pas à septembre, on ne l’entend plus. Bis repetita non placent.
Il se lit dans les pages sonores et disproportionnées de la presse de telles énormes sottises que j’ai résolu de faire mes griffes plutôt à côté, sur le socle du sapin odorant et agréable à l’œil – celui-là ne tardera pas à arriver, il arrive tous les ans. Je vous en donne une seulement : « Le film tiré du livre du petit ami de la maman du tueur en série récompensé par un prix. » Une autre : « Les enfants du cours moyen rencontrent les détenus seniors du quartier de haute sécurité à haute qualité environnementale dans le cadre du projet intergénérationnel de l’atelier de vie de quartier. » Tout est comme ça ou presque.
Je sais, j’aurais pu vous raconter la grande foire aux livres, la rentrée universitaire de mon humaine, le plan réussite des jeunes Héluns, la Villa Médicis livrée au groupe Accor, la grippe pandémonique et le plan de prudence, l’exposition vénitienne, la descente aux enfers et la renaissance douloureuse de M. Loriot (sans le fidèle Berlingot, qui avait eu la sagesse de s’enfuir nonobstant sa fidélité), l’alphonthéose d’Alphonse, mon adoré, à la biennale lyonnaise… J’en ai eu, des sujets d’indignation, d’amusement, de scandale, des occasions de fesser en riant, de ferrer en sciant, de me lamenter et de philosopher, finalement quand même toujours sur le meilleur fauteuil ! Ce qui m’amuse encore le plus, c’est que ne sortant jamais ou guère (à cause du mal des transports, je ne tolère que les transports célestes), et ne parlant par conséquent que de petits événements quasi-domestiques ou très confidentiels, de ce que je surprends sur mes rebords de fenêtre, des amis lointains me lisent et me comprennent. Quel émoi planétaire si j’avais narré, cet été, ma nuit sur l’unique du balcon du village (Bougnat qui m’avait poursuivie avait des intentions déshonnêtes, les propriétaires du balcon avaient des invités laisseurs de portes ouvertes et le balcon avait des volets roulants) ! Ou mes autres aventures : mes rencontres avec un grand poète, avec un grand graveur qui étaient plus qu’il n’avaient. Mais ça, je l’ai confié à mon carnet.

mardi 4 août 2009

Réparation

Le 3 août
Naturellement, le massif a disparu ! Impitoyable, mon humaine y a sévi avec son sécateur, tout en lançant des imprécations contre une quelconque nuisance du voisinage. Et incontinent, elle a revêtu une tenue de ville (j’appréhende toujours ces déguisements, qui peuvent être pour moi annonciateurs de déménagement probable, générateur de mal des transports), s’est emparée de ma personne (avec les ménagements habituels, signaux certains de déménagement), a disposé sur mon panier un tablier occultant et a MIS LE CONTACT !
Naturellement, j’ai été prise de malaise, que je qualifierais de vagal si je ne craignais d’être accusée de plagiat ou copiage. Et le plus fort, c’est que je me suis retrouvée dans une clinique où rôdaillaient des relents de chien, de putois, et heureusement aussi, de médicament, ce qui m’a un peu redonné courage : peut-être s’agissait-il du Val-de-Grâce ?
Oui, je crois que nous y étions, car la jeune-fille-au-thermomètre, allégorie vivante de la Miséricorde, m’y appela aussitôt par mon nom et en m’appliquant sur le sein quelque chose de rond et froid décréta très admirative : « Quel bon petit cœur ! »
Ensuite, elle dit un peu sèchement à mon humaine : « Tenez-la ! » (J’étais bien contente de voir pour une fois quelqu’un qui la commandait, ce n’est pas si fréquent chez ces damnés enseignants-chercheurs…)
Mon humaine baissa la tête, bien obéissante, et me plaqua sur la verte vallée de grâce où mes pattes dérapaient un peu. Mais je fis bonne figure.
Ensuite, je ne me souviens plus de rien, sinon d’un léger mal de tête ; je pensais être dans une chapelle fermée d’une superbe grille en fer forgé, la lumière des vitraux de couleur dansait autour de moi, des gens ululaient des chants d’église, je foulais un superbe tapis blanc siglé d’une fameuse marque de produits vétérinaires et la gentille jeune fille me disait : « Regarde qui est là ! »
Et là, dans mon val gracieux, il y avait mon humaine encore une fois habillée pour aller en ville, et qui dégageait d’affreuses odeurs de peinture, décapant, vernis, anticeci et anticela, car il faut vous dire que non loin du val des grâces est établi un magasin « tout faire », autrement dit tout gâcher, généralement, et où elle va en excursion pendant ses vacances.
Je tournais un peu, j’avais un drôle de goût dans la bouche et je n’ai pas échappé, cette fois encore, au malaise v…l (si quelqu’un a un remède, qu’il nous le donne, par pitié) et j’ai maintenant au cou une médaille avec à l’intérieur un code-barre, comme si j’étais une marchandise et non pas un bon petit cœur. Misère !
Et si vous voulez d’autres nouvelles, je peux vous dire que le colza et le blé sont entièrement moissonnés et les champs si bien labourés qu’on se croirait dans une récitation sur le mois d’octobre, sauf que dans la poésie il n’y a d’éoliennes que les harpes. Et à présent, j’ai un bon plan pour le mois d’août : je ne bouge pas d’un tas de rideaux bleus dans une chambre à la simplicité monacale, avec vue sur les éternels bricoleurs.

mercredi 22 juillet 2009

Le massif


22 juillet
Il y a dans les jardins ce que l’on nomme, à l’instar de ce qui existe en géographie physique, des « massifs ». Et il y a surtout, ici, « LE massif du talus ». Si je devais définir « massif », je serais toutefois bien embarrassée. On trouve là-dedans des végétaux, c’est indéniable, c’est-à-dire beaucoup d’herbes dites « mauvaises », (j’ignore pourquoi elles sont jugées si méchantes), et des vestiges de végétaux de la saison passée. Je les passe en revue : de nombreuses variétés (ici règne la fréquentation compulsive des pépiniéristes) de géraniums vivaces (ici règne l’agenda 21) à la fois échevelés et touffus (ici règne l’oxymore), terminés par leurs graines en forme, dit-on, de becs de cigognes (ici règne la philologie), campanules attardées qui ont l’air de rescapées d’un cataclysme, hémérocalles jaunissantes et fatiguées, rosiers qui « font des gourmands » (ça, ce n’est pas bien du tout pour eux), touffes de pivoines anciennement magnifiques (ah ! si vous étiez venus au mois de juin !), des centaurées tenaces montant désespérément en graine, des nigelles aux semences craquant délicieusement sous les dents pointues du devant (nommées « canines » et non « félines », horresco referens). J’en oublie et des meilleures : la ridicule cimicifuga qui ne fait rien fuir du tout malgré son air d’adolescente difficile, la gentille hysope dont le bleu digne de Monsieur Nicolas Poussin réjouit mes yeux et mon érudition, la corbeille d’argent (on ne le croirait pas, mais c’est un jardin de curé, comprenne qui pourra), une graminée appelée familièrement « chiendent de parade », une herbe très envahissante appelée savamment « les bernard » (du prénom d’un aimable monsieur qui en donna un tout petit bout, comme s’il s’agissait d’une rareté digne du Jardin du Roi, de sorte que dans plusieurs cantons on en est à se demander comment stopper sa prolifération), une autre nommée macabrement « les cimetière ». Celle-ci a été baptisée en raison d’une obscure localisation contingente observée naguère ; en réalité, c’est du sedum de la variété Herbstfreude, la joie de l’automne. J’observe au passage qu’en automne (saison des surveillances d’examen où le nombre des surveillants excède largement celui des surveillés), on se réjouit comme on peut.
Voilà pour le massif du talus.
Certes, on y découvrirait bien autre chose avec un peu d’attention. On y ferait sans peine l’archéologie des appétits horticoles successifs et dispendieux de mon humaine, au fil des ans, cependant que l’œil d’un géologue y verrait un inexorable affaissement du terrain, qu’un sociologue de la ruralité y découvrirait la preuve de la rurbanisation des années 90, qu’un historien de l’art y trouverait un bout de pierre tombale du plus pur style néo-gothique et qu’un historien tout court dirait que l’on se trouve sur l’emplacement d’un cimetière mérovingien, ce qui ne fait pas moins travailler l’imagination des hôtes secrets du massif du talus.
Les hôtes secrets, c’est moi et Alphonse, mon amour (ça y est, je l’ai écrit !) En rampant un jour le long des « cimetière », j’ai découvert dans le massif un passage fort étroit. De son côté, Alphonse s’enfonçait sous les hémérocalles jaunissants. Soudain, nous voici face à face ! Une longue séance d’« intermuseau » nous a occupés un bon moment, pendant que non loin de nous les transats grinçaient sous le poids des humains qui se racontaient la course à la prime d’excellence ! Nous avons aussitôt établi au centre du massif une sorte de petit cabinet de verdure (pour être vert, il est vert) où – miracle ! – nous avons trouvé une petite cuiller en métal argenté, mise là probablement par un enfant qui s’ennuyait lors d’un déjeuner d’adultes humains où la conversation tournait autour du podcast des cours, grâce auquel on va bien s’amuser à la rentrée.
Inutile de dire que la petite cuiller est devenue notre palladium.
Notre mot de passe presque digne de Monsieur Marcel Proust : « faire petite cuiller ».
Heureusement, Alphonse est en congé de frac, de buanderie, de tout. Lui et moi (et la petite cuiller), rien d’autre ne compte.
Le massif est si épais que même la pluie n’y pénètre pas. Mais on entend souvent : « Vite ! Gare ! Sauve-qui-peut ! On rentre tout ! La nappe ! Le linge ! Tant pis ! Attention ! Dépêche-toi ! Le ciel est tout noir ! »
Ou alors :
« Autrefois, il y avait des éclairs de chaleur… »
Ou encore :
« L’année de la canicule… »
Ou bien :
« Quand il y a eu la tempête… » (celle de 95, pas celle de 99).
Et soudain :
« La pauvre Krazy, où est-elle ? Elle va être trempée… »
(Hi, hi, hi, faisons-nous, pendant qu’on m’appelle sur le mur, sur la fenêtre, sous la boîte aux lettres, partout où mon étant n’est pas.)

samedi 9 mai 2009

Le 8 mai



Rosa Bonheur, Labourage en Nivernais.

Le 8 mai
Hier, Alphonse, mon très cher ami, s’est armé de courage, a revêtu son absence de fesses d’un pantacourt très large et il est allé, selon ce qu’il m’a déclaré avant de partir, suivre un cours délocalisé dans le nymphée Gaston (et Rosa) Bonheur. J’ai eu un petit doute :
- - Tu ne veux pas parler plutôt d’un amphithéâtre ?
- - Pas du tout, écoute avant de parler. J’ai bien dit : nymphée. C’est déjà assez difficile comme ça de savoir où les cours ont lieu ou pas lieu.
- - Mais un nymphée ? un sanctuaire dédié aux nymphes des sources ?
- - Parfaitement, les sources du savoir, et même de la forme supérieure du savoir.
- - J’admire la métaphore. Eh bien cours-y, dépêche-toi… Il ne faut pas manquer une chose pareille.
Et il est parti.
Et je dois bien avouer à mon journal, fleuron des écrits du for privé au XXIe siècle, que j’ai eu un petit pincement au cœur, même si je ne suis pas la première chatte délicate à être éprise d’un bandit frisant la racaille.
Et moi je suis restée toute seule, mon humaine étant partie je ne sais où.
Alors j’ai patiné sur la toile en me morfondant, tellement morfondue, tellement soupirante, tellement envahie par la bile noire, que j’ai tapé successivement « royal canin » (horresco referens, mais ce sont les meilleures croquettes, il faut l’avouer, hélas ils n’avaient pas de nouveautés, les croquettes au thé vert et extrait de goji sont une ancienne nouveauté), puis « animal planet » (j’ai voulu acheter en ligne un collier avec papillons en strass mais mon humaine avait emporté sa carte de crédit, elle est aussi traîtresse qu’une paicresse, si l’on peut oser la comparaison), et enfin j’ai essayé avec « mobilisation ».
Alors là, je n’ai pas été déçue. Pourtant, il n’y avait rien à acheter, ni du manger ni du bling-bling.
D’abord je suis tombée sur un blog étonnant, le fond de l’écran s’est couvert de ce que les humains appellent de la « toile de Jouy » marron, de petits motifs fleuris comme il y en a aussi dans le tissu ou le papier peint de Madame Laura Ashley, très à la mode ici autrefois, et encore à la mode de nos jours dans les émirats enrichis par l’essence (ce qui va dans les tôles à roulettes). Mais c’était bizarre, car sur ce fond fleuri se sont déchaînées de petites vidéos hurlantes, des banderoles venteuses, et même un élu local qui, la bouche encore baveuse des escargots qu’il venait d’engloutir, disait qu’il fallait continuer, continuer, il faut continuer et il est du côté de ceux qui continuent, à condition qu’ils structurent un peu leur projet, ce qui est la condition pour gagner.
Puis il y avait des questions et des réponses à n’en plus finir, les controverses anorthographiques des muridés bloquants qui donnent mal au cœur autant qu’un voyage en tôle à roulettes. Il a avait par exemple un certain « Cavour 71 » qui tâchait d’arrondir les angles avec une persévérance incroyable tout en mettant de l’huile sur le feu (il a de l’avenir, celui-là, on sent à le lire qu’il a l’étoffe d’un futur professeur de classe exceptionnelle à deux chevrons), tandis qu’un certain Manteuffel ne rêvait que plaies et bosses et se faisait tancer d’importance par tous les pacifiques.
Il y avait encore, déjà ancienne, datant du début du printemps des sofas, une nouvelle d’épistémo-fiction sur l’Université en 2050, sous le régime de l’odieuse Hellérue, vouivre à sept têtes et panse de hyène. Alors là, j’ai bondi, au point que ma queue a fait chuter la livebox. Dans cette littérature, le personnage principal était « la prof » (cette féminisation était-elle l’effet de la parité ou de la paupérisation ? ce n’était pas clair), une certaine « Mère » Dupont ou Duval (quel culot !) , toute rhumatisante, qui traînait son âge et son surmenage (elle approchait les 80 ans et faisait quelque chose comme 892 heures de cours par an) dans des amphis (ou des nymphées) pas chauffés et tout déglingués (ça, je ne vois pas en quoi ce serait de la fiction). Et comme dans les histoires de loups-garous, elle n’avait plus pour étudiants que quelques fils et filles de nantis.
J’en ai lu comme ça des pages entières. J’étais si mélancolique que je n’avais même plus le courage de me traîner jusqu’à mes gamelles (en porcelaine de Paris 1830) ; c’est un signe de mélancolie, ce manque d’appétit, tout ça est écrit noir sur blanc dans le livre d’un Anglais, M. Burton.
Il existe dans cette littérature de toile une extrême diversité d’une région à l’autre, or la diversité peut remédier à la déprime. Ici, on rit et chantonne, là on ne fait qu’être grave. Ici on tourne dans le sens des aiguilles d’une montre d’ancien modèle, ailleurs on annonce pendant des semaines qu’on va tourner sur la place principale, or rien ne tourne. (D’ailleurs, Sylvestre Sylvestre m’a fait savoir qu’il a réussi, à Montpellier, en suivant obstinément une ronde avec un bidon de lait à la patte à fabriquer un fort propre fromage…) A Lyon on échange des horions, tandis qu’à Nancy on siffle. Tantôt le président préside, tantôt il s’évanouit. Dans tel endroit il convoque des vigiles, dans tel autre il annonce aux parents alarmés qu’il mourra plutôt que d’en venir à cette extrémité. Tantôt la « presse relaie », tantôt elle déforme honteusement. Etc. etc.
Quand même, j’étais dans un triste état de déréliction quand Alphonse, carissimo mio, est rentrée du nymphée Gaston (et Rosa) Bonheur.
Il avait l’air maussade.
- Et qu’est-ce que vous avez fait, dans ce sanctuaire voué aux nymphes ? Vous avez parlé de Monsieur Aby Warburg, qui les a si bien célébrées ?


Il ne disait rien. Il avait aussi l’air de souffrir d’une démangeaison.
- Mais quel était le sujet de ce cours délocalisé ?
- Euh… ce n’était pas vraiment un cours… On m’a envoyé chercher à manger. Ensuite on m’a dit de coudre…
- ???
- Oui, il y avait un grand drapeau noir et blanc avec une tête de mort d’humain et deux os. On m’a dit que c’était pour mettre un peu d’humour. Il était décousu, et je l’ai recousu.
- Toi ? coudre ? C’est bien, il faut apprendre à recoudre quand on a décousu.
(Mais ça, il arrive que ce soit impossible.)

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mardi 28 avril 2009

Le 28 avril




A la rubrique « le monde et la ville » du journal local, ce dispositif fait de papier sonore et de barbarismes destiné à m’empêcher d’« aller sur les genoux », j’ai lu un reportage sur un boulanger. Je n’ai pas d’affinités spéciales, on s’en souvient, avec cette corporation. Pas davantage avec ses productions, qui me rappellent fâcheusement l’époque lointaine où je hantais les gamelles villageoises tout en évaluant le rayonnement des cœurs charitables (au moyen d’une grille, évidemment).
Toutefois, ce boulanger-là, qui avait droit à la page « people », m’a fait un instant oublier ma phobie du gluten. Il déclarait : « La boulangerie, c’est génial ! » Et de vanter ses nuits enfarinées dans la lumière du fournil, ses pains de toutes formes, ses kouglofs et ses tartes au fromage (acceptables). Bien sûr, quelqu’un chez qui le meilleur porte ostensiblement le nom de « tradition » ne serait pas acclamé des deux mains chez Madame Agée (ou Lâgée, je ne comprends pas toujours les mots neufs). Que dire de « rustique » ? « au levain » ? « à l’ancienne » ? et même « du bon Roy Stanislas », avec majuscule et « y » ! Non, camarade boulanger, avec des mots pareils, vous êtes d’office exclu de la majorité.
« J’ai le même levain depuis que j’ai commencé, dit-il, c’est mon trésor. » Quoi, le même depuis trente ans ? Vous vous divertissez certainement aux dépens du public ? « Pas du tout. Je change sans cesse mes fabrications, ajoutait-il, je cherche continuellement à m’améliorer, c’est mon bonheur. Vous voyez, j’ai remis à l’honneur le saint-honoré, je fais des éclairs de cinquante sortes différentes. Pourtant, la boulangerie était tombée assez bas, il y a seulement une vingtaine d’années. Les gens avaient perdu le goût du pain. » Il y en avait une pleine page comme ça.
Bon, me dis-je. Il faut que j’appelle le journaliste gentil. Je lui déclarerai, moi : « L’Université, c’est génial ».
Oui, c’est exactement ce que je pense.

mardi 31 mars 2009

Le 31 mars

Alphonse (darling), Lazare de Gouttière et ses amis sont allés à Paris et en ont rapporté ce précieux document.



Décret modificatif du décret n° 84-431 du 6 juin 1984 fixant les dispositions statutaires
communes applicables aux enseignants-chercheurs et portant statut particulier du corps des
professeurs des universités et du corps des maîtres de conférences et dispositions relatives aux enseignants-chercheurs.


1. Chaque professeur sera assisté par un manager ; chaque maître de conférences sera assisté par un coach. Tous les professeurs et maîtres de conférences seront relookés.
2. Les passerelles seront remplacées par des ponts dits « ponts de singe ».
3. L’autobus sera direct entre la gare et le campus.
4. Les fenêtres donnant sur l’établissement désigné sous le nom d’un célèbre palmé d’Amérique seront obturées par de la vitrophanie.
5. Les appareils nommés « photocopieurs » seront rebaptisés « photocopieuses » s’ils sont de sexe féminin.
6. Les professeurs et maîtres de conférences de sexe indéterminé seront mis en congé sans solde.
7. L’accès aux machines à café ne sera permis qu’aux professeurs membres de l’Institut Universitaire de France de sexe masculin.
8. L’usage des appareils à résistance électrique ou autre sera interdit dans les bureaux des professeurs mesurant moins d’un mètre soixante-cinq ; il sera proscrit dans tout bureau occupé par un maître de conférences quelle que soit sa taille.
9. Les maîtres de conférences nouvellement nommés recevront une pince du type « monseigneur ».
10. L’Huéfère Lettres et philosophie sera solennellement mise sous le patronage de sainte Catherine de Sienne
11. L’Huéfère des Sciences humaines sera solennellement mise sous le double patronage de saint Benoît Labre, patron des célibataires, des mendiants, des sans-logis, des pèlerins, des personnels scientifiques en mission et des personnes inadaptées, et du bienheureux Joseph Djougachvili, patron d’on sait qui.
12. L’Huéfère Langues sera solennellement mise sous le patronage de saint Romain d’Antioche.
13. Les professeurs ayant des poils dans les oreilles pourront les couper pendant les séminaires, non pendant les cours, sauf s’ils sont anciens élèves d’une Grande Ecole.
14. Tout article déjà publié pourra être republié sous un titre neuf pour resservir, à condition d’être imprimé sur du papier équitable.
15. Il sera institué une troisième classe dans les chemins de fer de l’Etat, exclusivement réservée aux membres du SPH (Syndicat des pommades hydrophobes), de l’ITB (Institut technique de la betterave) et de l’IRAB (Institut Royal pour l’amélioration de la betterave, Belgique).
16. Les membres des comités de sélection pourront accéder à la troisième classe s’ils en font la demande dans un délai dune semaine après leur élection, en téléchargeant le dossier idoine sur le site voyages.sncf.com.
17. Il sera institué une quatrième classe dans les chemins de fer de l’Etat, exclusivement réservée aux membres des comités de sélection qui n’auront pas fait la demande d’accès privilégié à la troisième classe dans un délai dune semaine après leur élection.
18. La seconde classe, la première classe et la classe privilège des chemins de fer de l’Etat seront interdites aux membres des comités de sélection, sauf s’ils s’acquittent d’un forfait équivalent au taux de rémunération d’une heure complémentaire et s’ils sont accompagnés d’un animal domestique de moins de cinq kilogrammes (la Ministre a consenti à cinq kilogrammes après recours de la représentante des CNPCR). Note : CNPCR : Chats Noirs Portant Collier Rouge.
19. La classe privilège des chemins de fer de l’Etat sera réservée aux professeurs de classe exceptionnelle et des 2e et 3e échelons de la première classe, retraités, pouvant prouver qu’ils ont été en sous-service pendant toute la durée de leur carrière .
20. Toute évaluation écrite de fin de semestre commencera par le chant du « Veni creator spiritus ».
21. Toutes les réunions des comités de sélection commenceront par le chant du « Veni creator spiritus ».
22. En début d’année, tous les nouveaux étudiants (L1) subiront un test de connaissances portant sur le cycle de Peter Rabbit (en langue française).
23. Les étudiants ayant échoué au test de Peter Rabbit auront l’obligation de participer pendant le premier semestre à un atelier théâtre et expression corporelle animé par un vice-président de l’Université.
24. Les vice-présidents de l’Université perdront le droit à leurs décharges s’ils n’animent pas ces ateliers.
25. Ces ateliers seront organisés sur des friches industrielles d’entreprises ayant déposé leur bilan depuis moins de trois ans, ou à défaut dans des exploitations agricoles ayant refusé toutes les aides de la PAC (Politique agricole commune).
26. Il sera interdit de parler de l’Europe.
27. La coopération avec le Timor oriental et la Papouasie-Nouvelle Guinée sera favorisée
28. Une Mission de coopération avec le Timor oriental et la Papouasie-Nouvelle Guinée sera mise en place à la rentrée 2009.
29. Le Directeur de la Mission de coopération avec le Timor oriental et la Papouasie-Nouvelle Guinée sera recruté dans le cadre des recrutements au fil de l’eau.
30. Le Directeur de la Mission de coopération avec le Timor oriental et la Papouasie-Nouvelle Guinée sera membre de droit de tous les comités de sélection.
31. Le test de connaissances de L1 portant sur le cycle de Peter Rabbit (en langue française) sera conçu, préparé, rédigé et évalué par un maître de conférences célibataire, non pacsé, sans enfants, pouvant attester qu’il n’a eu aucun contact avec des enseignants des cycles maternel, élémentaire et secondaire depuis qu’il a obtenu le baccalauréat.
32. Une liste-type exclusive d’arguments ad hominem et une grille correspondante (avec leurs traductions en tetoum et en tok pisin) seront distribuées à tous les membres des comités de sélection.
33. Un nouveau code vestimentaire destiné aux membres des comités d’évaluation est disponible sur le site BONAVENTURE (parcours fléché ROSSIGNOL) du Ministère (note tirée de wikipedia à l’attention de la foule des non-initiés : Bonaventure est un célèbre habilleur d’un département rural, qui couvre des milliers de panneaux d’affichage de la nouvelle de ses éternelles liquidations ; le bonaventurisme est un courant théologique fondé notamment sur la promotion de l’humilité).
34. Les membres des comités d’évaluation qui pour des raisons géographiques seront dans l’impossibilité de se conformer au code vestimentaire BONAVENTURE iront se faire rhabiller par Messieurs Dolce et Gabbana en utilisant l’ordre de mission délivré par le bureau 487 D le jeudi de 13 h 45 à 14 h 30.
36. Les directeurs d’Huéfères auront droit de vie et de mort sur les étudiants de Licence.
- 37. Les directeurs d’Huémères auront droit de vie et de mort sur les étudiants de Master et Doctorat.
- 38. En conséquence, on créera un corps de palotins chargés de porter à la fosse les cadavres des étudiants occis selon les articles susvisés. Ce corps sera rémunéré selon l’indice 327 de la convention collective des crocheteurs.
39. En prévision des décès subits d’étudiants, on créera aussi un corps des sacristines des Universités. Ces sacristines seront chargées des autels domestiques : repassage des antependia, mouchage des chandelles, changement de l’eau des bouquets. Elles seront rémunérées à l’indice 975 de la convention collective des chaisières.
40. Pour encourager le culte de la vertu de laïcité, les enseignants consacrant aux idéologies religieuses réactionnaires et favorables à la propagation des épidémies plus de deux heures de cours par année universitaire pourront être pénalisés sous forme d’une augmentation de service, à concurrence de 674 h eq. TD pour les professeurs et 992 h eq. TD pour les Prag.
41. Pour développer la sensibilité de la communauté universitaire à l’importance des mouvements sociaux, les enseignants consacrant plus de 90% de leurs cours à cette question pourront bénéficier de réductions de service à concurrence d’un service de 24 h. eq TD par an pour les professeurs de classe exceptionnelle à deux chevrons.
42. Les étudiants candidats aux élections locales et nationales sur des listes à caractère citoyen pourront être dispensés de tout ou partie des examens. La liste des listes reconnues et approuvées sera dressée par une sous-commission du Conseil d’administration présidée par un professeur de classe exceptionnelle à deux chevrons.
43. La présidence de la commission de composition de la liste des listes vaudra décharge de service.
44. On mettra en place à compter du 1er avril 2009, avec effets rétroactifs, une « mineure blocage ». 48 jours de blocage actif vaudront 10 ECTS.
45. On instituera une « prime de découragement » destinée à récompenser les directeurs de thèses qui, par leurs absences perpétuelles et leur manque ostensible d’intérêt, auront conduit chaque année plusieurs doctorants à abandonner leur projet.
46. Pour réduire les coûts exorbitants des missions de recherche, les missionnaires de l’Université ne seront plus autorisés à consommer au petit déjeuner qu’un thé OU un jus d’orange (le jus de pamplemousse est réservé aux professeurs de classe exceptionnelle à deux chevrons), un croissant OU un pain au chocolat.
47. Le formulaire TZ 46835 bis (à retirer au bureau 487 D le jeudi de 13 h 45 à 14 h 30) sera en conséquence augmenté d’une annexe 8 destinée à coller les miettes du croissant OU du pain au chocolat pour vérification.
48. Les membres du personnel admis au grade de chevalier de l’ordre du Rameau nain organiseront chaque année au printemps une fête costumée dite fête du Rameau nain au cours de laquelle ils offriront à leurs frais à toute la société urbaine le vin effervescent ordinaire.
49. La promotion de la vertu d’humilité se fera exclusivement à l’ancienneté.
50. On instituera une cellule de valorisation des enseignements alternatifs.
51. Le directeur de la cellule de valorisation des enseignements alternatifs sera membre de droit de tous les comités de sélection avec voix prépondérante lors des votations. S’il est empêché de participer à un comité de sélection, le directeur de la cellule de valorisation des enseignements alternatifs sera remplacé par un étudiant ayant assuré lors du semestre au moins deux heures d’enseignement alternatif portant sur l’histoire des mouvements étudiants.
52. Le directeur de la cellule de valorisation des enseignements alternatifs bénéficiera pour toute la durée de sa carrière d’un congé pour recherches et conversion idéologique.
53. Un cabinet d’aisances pourvu d’un miroir d’époque Louis XVI acquis auprès du site d’enchères ebay sur les crédits la cellule de valorisation des enseignements alternatifs sera réservé exclusivement au professeur de sexe féminin de l’Huéfère des Sciences humaines.
54. Tout professeur de sexe masculin surpris à utiliser le cabinet d’aisances pourvu d’un miroir d’époque Louis XVI sera immédiatement émasculé.
55. Cette peine digne d’un autre âge et d’autres aires civilisationnelles sera appliquée lors d’une réunion extraordinaire du conseil de l’Huéfère à laquelle appartient le contrevenant, qui pourra être assisté le cas échéant du directeur de son Huémère ou à défaut du directeur de son équipe de recherche.
56. Cette peine pourra exceptionnellement être commuée en virement bancaire d’une somme égale à une année de salaire brut du contrevenant, augmentée le cas échéant du montant des primes auxquelles il a droit, versée sur le compte du trésorier de l’ACCU (association des cocus de la communauté universitaire).
57. Compte tenu de l’attachement des professeurs de sexe masculin à leurs avantages financiers ordinaires et extraordinaires et pour ne pas compromettre l’équilibre des revenus de l’ACCU, il est décidé qu’à partir du 01/04/2009, tout professeur de sexe masculin s’acquittera d’une cotisation annuelle à l’ACCU de 3000 euros.
58. Tout membre du personnel administratif qui féminisera les dénominations de fonctions sera versé dans le corps des chaisières 1er échelon quel que soit son sexe.
59. Pendant les soutenances de thèses organisées durant le semestre d’hiver dans la salle du grand conseil, il est recommandé de procéder sous les fenêtres de ladite salle à l’effarouchement mécanique des feuilles mortes, mouchoirs en papier et autres déchets ornementaux.
60. Pendant les soutenances de thèses organisées durant le semestre d’été dans la salle du grand conseil, il est recommandé de procéder sous les fenêtres de ladite salle à la tonte mécanique de l’espace vert.
61. La consommation vineuse effervescente ou non lors des cérémonies festives (cruche de départ, tirage épiphanique des tyrans, etc.) sera remplacée par une saynète alternative choisie dans le répertoire des pièces de collège du XVIIe siècle téléchargeable sur le site Sommervogel. com.
62. En aucun cas la représentation de cette saynète ne pourra être remplacée par l’organisation d’une noria ou ronde de membres du personnel.
63. Un comité présidé par un professeur de classe exceptionnelle à deux chevrons sera chargé de la sélection des pièces de collège représentées lors des cérémonies festives.
64. Le secrétariat scientifique de l’Ecole doctorale sera chargé de la traduction du latin vers le tetoum et le tok pisin desdites pièces de collège. Au cas où il assurerait des cours alternatifs, il en serait déchargé à hauteur de 50 %.
65. Les professeur de sexe ci-devant masculin visés par les articles 55 à 57 du présent décret auront l’obligation de tenir dans les saynètes susdites les rôles d’eunuques, au cas où ces saynètes auraient pour thème fédérateur la croisade contre l’Infidèle et pour argument des histoires de sérail.
66. Les directeurs d’Huémères auront l’obligation de tenir dans les saynètes susdites les rôles de satyres.
67. Les directeurs d’Huémères tenant des rôles de satyres ne pourront pas couper en public leurs poils dans le nez ou ailleurs lors de leurs prestations, sauf s’ils y ont été autorisés par la section du Conseil national des Université ou du Cénéresse dont ils dépendent siégeant en formation restreinte.
68. Lors de leurs prestations en satyres et/ou en eunuques, les professeurs auront droit à titre exceptionnel et gracieux à une consommation dans le cadre de la machine à café.
69. Lors de leurs prestations en eunuques, les professeurs auront droit à un verre d’eau du robinet, à la condition qu’ils soient anciens élèves d’une grande école ou établissement assimilé.
70. A la rentrée 2010, le répertoire des pièces de collège du XVIIe siècle téléchargeable sur le site Sommervogel.com sera augmenté d’un nouveau répertoire constitué par la liste des publications des directeurs de composantes, mise en musique par une commission issue du département de musique.
71. On créera dans chaque Huémère une chorale.
72. La participation à la chorale de l’Huémère de rattachement sera obligatoire pour les enseignants-chercheurs titulaires, stagiaires et vacataires.
73. Les répétitions des chorales auront lieu tous les vendredis de 19 h à 20 h 30, sauf en période de vacance.
74. Les directeurs des chorales seront des personnalités extérieures à l’Université, choisies pour leur expérience reconnue dans le domaine qui est le leur. Ils seront recrutés pour dix ans renouvelables deux fois. Leur rémunération sera calculée sur la base de celle des professeurs au Collège de France.
75. Le montant de la vente des disques compacts produits dans le cadre des chorales d’Huémères sera versé au bénéfice de l’ACCU.
76. Les étudiants de mastère 2 pourront valider au titre des séminaires l’assistance aux répétitions des chorales, après avoir obtenu l’accord écrit du responsable du mastère. Cet accord ne prendra effet qu’après avoir été approuvé par le secrétariat scientifique du mastère.
77. Les bibliothèques centrale et spécialisées seront supprimées.
78. Sur l’emplacement de la bibliothèque centrale, qui sera rasée pour des raisons de sécurité évidentes, on édifiera un groupe sculpté monumental représentant Monsieur Google, Monsieur Lénine et Monsieur Moon se tenant embrassés à la façon des trois grâces.
79. Sur l’emplacement des bibliothèques spécialisées, qui seront déconstruites, on installera des espaces d’aide à la valorisation des projets émergents.
80. Les bibliothécaires seront versés dans le corps des agents d’aménagement de l’espace vert, à l’indice correspondant à celui qui était le leur à la date de la suppression des bibliothèques.
81. L’appel d’offres et le cahier des charges en vue du concours pour la réalisation du groupe sculpté monumental seront rédigés par un comité d’étudiants en art (première année), choisis parmi ceux qui ont obtenu au premier semestre de l’année universitaire en cours une moyenne inférieure ou égale à 02 sur 20 ou qui à défaut pourront attester leur participation active au printemps des chaises.
82. Un comité de suivi du groupe sculpté co-présidé par le président de l’Université et par le directeur du centre d’art régional sera chargé du choix du plasticien lauréat.
83. Au cas où ce groupe sculpté monumental serait inopinément endommagé par les agents chargés de la maintenance de l’espace vert, le dédommagement consenti au plasticien auteur du groupe consistera dans la totalité du patrimoine immobilier de l’Université. Ledit plasticien aura alors la pleine propriété du domaine immobilier de l’Université. Il aura droit de vie et/ou de mort sur le personnel scientifique.
84. Une bourse annuelle d’un montant de 72 000 euros sera instituée dans chaque mastère. Ne pourront en bénéficier que les étudiants pesant moins de 52 kilogrammes qui pourront attester qu’ils disposent de revenus personnels de 3000 euros mensuels minimum.
85. Cette bourse sera attribuée par le directeur du mastère après tirage au sort. Au cas où le directeur du mastère consulterait les professeurs chargés de l’encadrement des mémoires de recherche de mastère, il encourrait la peine capitale.
86. Toutefois, si le directeur du mastère s’engage à effectuer un acte extraordinaire et notoire de servilité ou de délation, cette peine pourra être commuée en émasculation. Les directeurs de mastère de sexe féminin seront là où ils existent astreints à 48 jours de travaux d’intérêt général.
87. La définition exhaustive des actes extraordinaires et notoires de servilité ou de délation peut être téléchargée sur le site des annales de la communauté universitaire.
88. Les actes extraordinaires et notoires de servilité à l’occasion de la composition des comités de sélection seront récompensés par l’accès direct à la responsabilité du PRESS (Pôle de recherche et d’enseignement supérieur servile) de l’Université et au grade de grand maître de l’ordre du Rameau nain.
89. La responsabilité du PRESS donnera droit à la jouissance permanente du groupe sculpté monumental.
90. Les étudiants de troisième année qui feront plus de cinq fautes d’orthographe dans une évaluation écrite comptant pour les partiels seront coupés en quatre dans le sens de la longueur. Leurs restes seront solennellement portés en terre par une délégation d’étudiants qui psalmodiera des extraits du manuel de Monsieur et Madame Bled.
91. Les directeurs de composante qui feront plus d’une faute d’orthographe d’usage ou grammaticale dans un courrier administratif seront coupés en deux dans le sens de la largeur. Leur moitié supérieure sera toutefois plastinée afin de servir d’admonestation mémorielle à l’ensemble de la communauté universitaire. Les frais de leur plastination seront engagés sur le budget du PRESS. Leur moitié inférieure sera mise à la poubelle.
92. La liste des plaisanteries parodiques, parodies plaisantes et pastiches amusants autorisés dans la communauté universitaire à l’exclusion de tous autres est annexée au présent décret.
93. Seuls les professeurs de classe exceptionnelle à deux chevrons et les étudiants membres des bureaux des assemblées générales organisées depuis 1995 auront accès à des plaisanteries parodiques, parodies plaisantes et pastiches amusants non inscrits dans la liste susdite.
94. Les plaisanteries parodiques, parodies plaisantes et pastiches amusants de la liste mentionnée à l’article 92 du présent décret feront l’objet chaque année de dix thèses fléchées qui recevront pendant trois ans consécutifs un financement annuel de 72 000 euros.
95. La sélection des candidats à cette allocation aura lieu le troisième dimanche du mois de juillet. Elle aura la forme d’un entretien de cinq minutes avec le secrétaire scientifique de l’école doctorale, assisté du secrétaire scientifique du mastère et/ou de son conjoint.
96. Les étudiants de master 2e année qui pourront attester une participation à 96 heures de blocage actif seront dispensés de cet entretien oral.
97. Les directeurs de composantes non titulaires de l’habilitation à diriger des recherches pourront bénéficier du titre de docteur habilité s’ils présentent devant un jury composé du directeur du PRESS et de son conjoint un dossier de circulaires administratives non nocives d’un poids de 52 kilogrammes.
98. Le caractère non nocif dudit dossier sera apprécié par un comité d’évaluation composé d’un docteur en médecine vétérinaire et de son conjoint, assisté si le cas le requiert d’un expert anthropologue et d’un théologien bonaventuriste. Ledit théologien bonaventuriste suivra le code vestimentaire habituel de son ordre et ne pourra en aucun cas être habillé par Messieurs Dolce et Gabbana.
99. Les CNPCR seront nommés à vie à la présidence de tous les conseils de l’Université.
100. Le président des CNPCR est chargé de l’exécution du présent décret.

Annexe : liste des plaisanteries parodiques, parodies plaisantes et pastiches amusants autorisés dans la communauté universitaire à l’exclusion de tous autres
Cette liste est téléchargeable sur le site MMPioche.com


Enfin la sortie de crise ! Les représentants des principaux syndicats ont le sourire à leur sortie de la rue de Grenouille.

mardi 24 mars 2009

Le 24 mars






"Douze jours que tu fais garde-malade !" s’indigne Alphonse, mon très tendre ami, venu ce matin aux nouvelles.
- Et même plus que ça, ai-je répliqué. J’ai aussi « fait », comme tu dis, accompagnatrice en soins palliatifs, pleureuse et ensevelisseuse.
- De l’Université française ?
- Non, mais d’un machin pas plus gros qu’un poudrier à poudre de riz, qui s’appelle en anglais HD, Hard Disk. Le Hard Disk n’était pas si costaud qu’il voulait le faire croire, il devait avoir un vice caché, il a eu une faiblesse et il nous a quittés pour un monde pire, l’Enfer de la Déchetterie. Pourquoi tes lèvres s’arrondissent-elles ainsi en sourire ? Les coups durs des disques durs font-ils de toi un Démocrite à fourrure ?
- Pourquoi je me marre ? Parce je me demandais si tu parlais par paraboles, par métaphores. La fourrure, la poudre de riz, la déchetterie : l’heure est tellement à la parodie, au symbole, au langage crypté et au détournement que je pense qu’il y a un sens caché sous ces mots obvies.
- Tu es fou ? Je m’en voudrais bien de prêter la patte à cette universelle et soudaine niaiserie.
- Niaiserie peut-être, mais sais-tu que cette vague de créativité exceptionnelle dont j’ai eu une petite idée dans la Mercedes de la valise, va bientôt faire l’objet de savantes thèses de doctorat, qu’elles ont déjà d’ailleurs une sorte de Museum, dans la ville où l’on sacrait les Rois ?
- Dès le début, j’ai su qu’il ne fallait pas douter un instant de cette appropriation cuistreuse. Les soutenances, c’est comme si j’y étais ! Mais quelles nouvelles m’apportes-tu de Gabriel-City ?
- Nulles. D’ailleurs il te suffit d’ouvrir le site officiel de GC, tu sauras tout. Tu verras les palmipèdes avancés poser fièrement avec leurs récompenses. Tu sauras tout sur les chiens crevés au fil de l’eau et la natation synchronisée. Tu apprendras que le divin Apollon n’a pas abandonné le Mont des Muses, loin de là. Et puis, tiens, regarde ça : « Marie-Madeleine Pioche de La Vergne sévèrement taclée par Franz Kafka ».
- Qu’est-ce que tu racontes ?
- Ce n’est pas de la balle au pied, c’est moi qui ai parodié.
Alphonse (mein Schatz) n’arrêtant pas de rire, je suis allée et j’ai lu.
Un drame s’est déroulé à GC, un malheureux étudiant, irlandais semble-t-il, a trouvé la mort. Rien n’est plus triste. Il est bien normal que l’on n’indique pas son nom. Mais malencontreusement, on le nomme et renomme avec insistance : « Joseph K. » « Si la mort de Joseph K. vous touche, rendez-vous à la cellule d’aide psychologique de l’Université. »
- Il y aura de quoi s’asseoir, a dit Alphonse.
- Oui, certes, cette mort me touche.
- Et si Kafka était aussi mort que Marie-Madeleine Pioche ?

vendredi 27 février 2009

Alphonse prend ses responsabilités


Le 28 février


Nous avons sur les pattes et les bras Alphonse, mon très cher ami, à qui est arrivée une horrible mésaventure.
Alphonse, tesoro mio, a comme on le sait une propension particulière à mettre les tarifications embrouillées de la SNCF en coma dépassé, autrement dit à prendre le train sans payer. Si l’on s’en souvient, et je suis sûre que certains de mes lecteurs s’en souviennent, sa technique consiste à repérer à l’heure du premier TGV (Train Gouvernemental et Virtuose) la valise à roulettes d’un élu local et à se glisser entre le pyjama et le dossier. Des expériences répétées l’ont amené, non pas à visiter la capitale (ou si peu), mais à réunir une importante documentation sur le caractère « pérenne » de l’adultère et l’escalade vertigineuse de l’inculture dans les deux chambres.
Je lui ai souvent dit que ces escapades finiraient mal. (D’autant que dans un arrondissement branché de la capitale, il y a une certaine Jane-Odette que j’abhorre spécialement.)
Là, ça a failli très mal finir.
Alphonse ne s’était pas réveillé assez tôt pour se faufiler dans le Trop Génial la Vitesse !, ayant paressé dans je ne sais quel LAP (Local A Poubelles). Au début de l’après-midi, il avise une réunion relativement nombreuse, cent ou deux cents humains, dont il décide que ce doivent être des décideurs parce qu’ils ont l’air de se connaître entre eux mais que certains parlent plus fort que les autres et leur disent avec une grande amabilité : « Cause ! Toujours tu m’intéresses ! » Il croit entendre que l’on élit ceux qui montent à Paris pour la cordinationale, et le voilà qui monte subrepticement dans ce qui lui paraît être une valise à roulettes, une belle grande noire extrêmement luxueuse, « une sorte de Mercédès de la valise » (d’après ses critères qui sont incertains et depuis qu’il a entendu, fasciné, mon humaine parler d’une acquisition récente nommée « la Rolls du vide-pomme », comme si Alphonse, mein Liebling, ou moi d’ailleurs, pouvions prendre quelque intérêt aux pommes au four). Bref, le voilà enfermé dans une sorte de boîte oblongue et obscure, dans le noir aussi noir que s’il était le fameux pauvre chat de Schrödinger, sauf que dans la Mercédès de la valise, il n’y avait ni atome radioactif ondulatoire, ni compteur Geiger, ni fiole de poison (heureusement, en fin de compte.) Il sent que ça ballotte, lentement, lentement, au son d’une cantilène où il parvient à distinguer, dit-il, quelques mots comme « bouffe, traîtresse, sarcome, gueule, rabais, chercher les beaux en rut, moche, bosse, vozenfan », sans parvenir une seule seconde à comprendre de quoi cela s’agite. Soudain, stop ! Le cortège semble marquer une pause. La Mercédès pile net, et Alphonse (mon petit cœur), doit freiner des quatre pattes pour ne pas être précipité contre les parois de la valise. Il se reprend suffisamment et il entend : « Le comte de Chabanes, qui connaissait la sincérité de cette belle princesse, ne put se défendre de tant de charmes qu’il voyait tous les jours de si près ; il devint passionnément amoureux, et, quelque honte qu’il trouvât à se laisser surmonter, il fallut céder et l’aimer de la plus violente passion qui fût jamais. » Voilà, pense-t-il, tout s’explique, en fait je dirais que la princesse a trouvé un beau en rut.
- Épargne-moi, je te prie, ton album de contrepèteries et ton éloquence journalistique.
- Krazy, tu n’y étais pas, laisse-moi poursuivre. Tu restes toute la journée sur coussins et ignores ce qui se trame in der weite weite Welt. Tu fais tes 128 heures annuelles de studium venandi et le reste du temps tu pantoufles ringardement.
- Erreur ! fais attention, je suis moi aussi très chatouilleuse sur la question de mon emploi du temps ! Tu n’ignores pas que l’EEC (Emploidutemps d’Enseigneur-Chassant) est devenu un genre littéraire à part entière depuis quelques semaines, qui a conquis journaux et blogs. Là se révèle à la population profane le secret de la vie de l’EC, jusque là bien gardé.
- Oui, je sais. Il mène une vie de fou, il travaille bien plus de 80 heures hebdomadaires, il lui arrive de recevoir un jeune mitou pendant une demi-heure pour discuter de son sujet de mastère ! de consacrer des semaines au plan Plan ! Le lecteur qui n’y comprend goutte le suit pourtant à la trace dans un labyrinthe sans joie.
- On se demande d’ailleurs pourquoi il a déployé tant d’énergie, marché sur sa dignité et sur sa paix avec autant de persévérance, si c’était pour vivre un tel cauchemar, sans parler de la paie dérisoire, des décrets qui vous glacent le sang, de l’avancement qui recule et de la schizophrénie torturante où le précipitent l’angoisse et le désir simultanés d’être évalué par ses pairs, ses pépères et ses mémères.
- L’EEC a de l’avenir, intervient mon humaine. Mais laisse Alphonse raconter, lui qui va sur le terrain.
- Merci M’dame, réplique Alphonse avec un brin d’insolence.
(Il faut dire que pendant ce récit, Alphonse, caro mio, est au lit et encore assez mal en point.)
- Raconte, Alphonse, quand le cercueil figurant l’U s’est ouvert en deux devant le président de la Région.
- Ah, arrête, je le verrai toujours, celui-là, faisant des signes de croix redoublés en voyant jaillir un black cat ! Et comme il n’avait pas d’exorciste dans son organigramme, il a appelé la police. Et elle m’a coursé, coursé…
- Et te voilà !

(Et puis lisez ça : http://www.lemonde.fr/archives/article_interactif/2009/02/24/l-iufm-ce-que-l-education-nationale-a-de-pire_1159878_0.html
)

vendredi 20 février 2009

Radotage



Mais elle n’écrit plus, cette Kat ? Elle n’a rien à dire sur la crise, sur les Zözä ou Zözäen, sur le risque terrible pour eux de « tomber dans le trou des faux-culs » (une certaine Madame Valérie a dit ça à la radio), sur « la mouture de la maquette » (en situant au Moulin en juin dernier, ma grande allégorie des opérations de recrutement, j’avais donc eu une prémonition carrément visionnaire des choses) !
Non, elle n’a rien à dire.
Ou plutôt si.
Lisez ça, que j’ai non pas collé, mais tiré de la bibliothèque de mon humaine et copié de ma noire patte :
« On me demande parfois – non les jeunes, qui se moquent bien de la science ou de la sagesse des vieux, mais les personnes d’âge, qui savent que j’ai écrit des livres de philosophie – quelle serait la conclusion – ‘en quelques mots’, se hâte de préciser le questionneur – de mes longues années de réflexion.
Je m’aperçois alors que je n’ai découvert que ce que m’ont montré, à moi comme à tout le monde, les longues tiges d’épilobes ou de digitales, sur lesquelles j’avais tant réfléchi dans mon enfance : nous captons le passage dans le monde visible, de formes de vie qui s’incarnent lentement, du haut de la tige au bas de la tige florale, des boutons verdâtres du haut à la fleur fanée, à la fleur ou à la graine échevelée du bas. Les générations humaines – mais Homère déjà a dit quelque chose de semblable – ne diffèrent guère des fleurs de digitales ou d’épilobes. Les civilisations humaines fleurissent et défleurissent de même, et leurs inventions rationnelles qui paraissent d’un autre ordre, ne changent pas grand-chose à la marche inévitable de la vie. […] L’univers manifeste partout, dans l’espace, des mémoires surmatérielles inventives et sensées.

On me demande aussi quels conseils pratiques je donnerais – en moins de mots encore.

Et cette fois je ne veux pas répondre car je pense que tout donneur de conseils, tout prêcheur qui se met dans la tête de faire le bonheur des hommes, tout idéologue qui se croit plus sage, parce qu’il adopte quelque théorie nouvelle, que la sagesse vitale de millions de générations, risque de martyriser ceux qu’il prétend rendre plus heureux. Ou je dirais simplement : ‘Vivez et laissez vivre. Ne vous martyrisez pas, ne vous dégradez pas les uns les autres. Appréciez-vous, faites-vous valoir, au contraire, comme les fleurs en passage éphémère sur la même tige’. »
(Raymond Ruyer [1902-1987], Souvenirs I. Ma famille alsacienne et ma vallée vosgienne, Nancy : L’air du pays Vent d’Est, 1985, p. 230-231)

dimanche 8 février 2009

« Une image miraculeusement étrange du passé… »



Je me retirai hier en mon petit cabinet vert, mon humaine m’ayant laissé le champ tout à fait libre. Et à quoi ai-je employé mon temps ? Non, je n’ai pas relu – tant d’autres s’y emploient présentement ! – certain roman qui prend pour cadre la cour des derniers Valois. Inopinément le petit directeur des humains de Gaule (qu’est-ce qu’il m’énerve, celui-là, avec sa voix !), l’espace d’une saison, l’a rendu fameux et populaire, comme le furent naguère La Religieuse de M. Denis Diderot et Les Misérables de M. Victor Hugo, pour d’autres raisons. Je n’ai pas lu, pas écouté la musique, pas regardé dehors, pas gratté, pas fait « la petite crêpe ». J’ai mis mes pattes antérieures bien en arrondi devant moi, j’ai feint de somnoler, et j’ai rappelé à ma mémoire certaines histoires très très anciennes.
En 1763, les jésuites furent bannis de France, leurs collèges et universités fermés. Aussitôt, dans certain village sis à quatre lieues de l’un de ces établissements, les chefs de famille, des vignerons pour la plupart, se réunirent et rédigèrent une supplique qu’ils adressèrent à l’Intendant de la province. Je n’en avais plus le texte sous les yeux (tout est si mal rangé dans ce cabinet !) mais je me souviens que ça avait déjà des allures de cahiers de doléances. Et que disaient ces gens ? Ils parlaient de leurs fils (ils ne disaient rien, il est vrai, de nous autres filles, une fille, ça se marie et on n’en parle plus), demandant : où leur faudra-t-il aller pour être instruits ? une instruction de cette qualité pour tous les enfants (les enfants capables, s’entend), où la trouveraient-ils ?
On ignore quelle réponse ils reçurent. Fit-on une commission, une cellule, de la concertation, de l’accompagnement ? Nul ne sait. La rue de Grenouille en ce temps-là était un faubourg aristocratique, pas une succession de tanières administratives.
Le temps passa, sans jésuites ni collège, et on arriva comme ça en 1900. Dans ce même village, les lois de M. Ferry s’appliquèrent et l’école, celle des filles et celle des garçons, devint laïque (bien que ce fût une religieuse qui enseignât les petites filles, on n’avait personne d’autre sous la main), gratuite et obligatoire, ce qu’elle était d’ailleurs déjà auparavant, on était dans une région de forte scolarisation depuis plusieurs siècles. Il y avait dans ce village un garçon très capable, qui était prêt à travailler la vigne comme son père le faisait, mais qui aimait encore mieux les livres. Non, il ne voulait pas être prêtre, ça ne lui disait rien. Le curé (pas un curé crétin, mais pas non plus un curé malin) lui apprit le latin. Cependant, les choses en restèrent là. Les années passèrent, le garçon devint un jeune homme, qui partageait son temps entre la vigne et les livres. Survint la grande guerre que se firent les humains de Gaule et ceux de Germanie, plus désastreuse, plus meurtrière, plus atroce que celle des grenouilles et des rats. Dans son paquetage, le jeune homme mit un petit volume de M. Salluste. Personne ne sait s’il eut, avant d’être tué, le temps de relire les histoires des ruses de M. Jugurtha.
Le temps passa encore, des vies passèrent et des septénaires de vies… Ces satanés humains se firent encore la guerre, toujours plus cruelle et infâme. Quand ils en furent sortis, de cette guerre, ils s’unirent entre humains et humaines (je rigole quand j’y pense, ils sont si burlesques lorsqu’ils s’unissent, les pauvres !) et firent des tas d’enfants, personne ne songeant, naturellement, à les mettre à la rivière ou à la Esspéa. Mais pour tous ces nouveaux petits mitous, les écoles étaient trop petites, malcommodes, insalubres, les maîtres et les bons maîtres trop peu nombreux. Alors, cependant que beaucoup de gens raisonnables et généreux se démenaient et même se sacrifiaient pour que tout marche comme il faut et que les jeunes mitous reçoivent tous et partout sans distinction une instruction qui les aide à grandir, pendant ce temps, dis-je, les bureaucrates bureaucratisaient, les décréteurs décrétaient, il y eut des instituts, des conseillers, des inspecteurs, des classes de transition et de préprofessionnalisation, de nouveaux programmes et du bon temps pour toute sorte de concepteurs d’instructions.
Et de fois à autre, un méchant, un pervers : ainsi, dans le village dont je parlais, la jeunesse prépubère et pubère montait le matin dans une longue et ténébreuse tôle à roulettes (toutefois dénommée « bus solaire ») et s’en allait au chef-lieu de canton recevoir une instruction qui était ce qu’elle était. L’un de ces jeunes voulait-il « continuer » ? Le méchant y avait pensé : soudain, il fut décidé que pour accéder à la grande académie de la grande ville, il fallait par exemple avoir appris deux idiomes étrangers. Il fallait au mitou pubère une incroyable force de volonté pour faire comprendre à ses père et mère où il voulait en venir, à supposer qu’il en eût une idée claire, en dépit de « l’orientation », qui était souvent une crétinerie parmi d’autres.
Cependant, le pervers, dans la rue de Grenouille, avait aussi un garçon, qui était bien mieux que le fils de Périclès, mieux que le fils de Platon : car il était aussi intelligent que son père, les gènes étaient intacts. Pour ce phénix, rien d’assez bien, il lui fallut les plus illustres académies, et successivement les fondations, les prébendes, les retraites, les cachettes, les gîtes, les bourses et les tribourses, les allocations et les détachements, les dérogations et les primes. Ce phénix devint donc quelque chose et les idées les plus audacieuses ne lui faisaient pas peur. Tout marcha pour lui sur des roulettes, et c’étaient des roulettes chryséléphantines.
Il ne fut pas, cet oiseau, l’un de ceux qui révolutionnèrent l’évaluation de l’apprenant, défendirent les dominés contre les dominants, réformèrent la grammaire et cassèrent du mandarin et de la mandarine. Oh ! non. Il se moquait pas mal du collège unique et de la pédagogie par objectifs. Il se contentait ici et là, dans un patois sinistre, de couvrir de sarcasmes des textes désuets, inutiles ou pernicieusement élitistes (ou élitaires ?) tels que les Fables de M. La Fontaine (il n’était pas le premier, M. Jiji Rousseau l’avait fait avant lui), les élucubrations de M. de Montaigne ou de Mme de Navarre (écrites dans un français impossible) et bien sûr les aventures de M. Jugurtha et de M. Marius. Il contribua ainsi à mettre enfin au programme des écoles de grands écrivains comme M. Ravalec et M. Delerm. Il fit tout ce qu’il put pour que la population ait horreur des vieilleries, et il ne fut pas peu épaulé en cela par d’autres formidables entreprises de démolition des consciences. Certes, le petit directeur des Gaulois n’est pas le premier à outrager la trémulante love-story du vidame de Chartres.
Les mitous des écoles grandirent et ils commencèrent à ENCOMBRER LE PREMIER CYCLE. C’était très embêtant. Tant qu’il y eut des « moyens », il fut facile comme bonjour de leur inventer toute sorte d’activités diplômantes, de les faire passer par des détroits ou filières complexes, de leur servir des problématiques toutes neuves. L’alma mater commença en certains quartiers à ressembler à un fromage à moisissure interne (on disait plutôt : à pâte persillée), mais ce n’était pas pour les masses de mitous un aliment très riche. Certains en eurent des indigestions, des inflammations, des échauffements, des démangeaisons, des crises de ceci et de cela, et l’on ne voyait pas bien comment les soigner, d’autant plus qu’ils se sauvaient dans la rue dès qu’ils apercevaient un thermomètre (exactement comme moi).
Or les bactéries, dans ces fromages, se développaient beaucoup mieux à la faveur de l’autonomie (que l’on avait autrefois quasiment divinisée), dans des milieux restreints et confinés, où l’on était toujours un peu entre soi. On rêva donc de formations suscitées par les ressources locales, voire directement par des politiciens (bien que leur inculture eût dû être le premier sujet de préoccupation), il était de bon ton de vilipender l’odieuse ingérence des bonzes du sommet (cette semaine on tend à les encenser), et l’on ne cessait d’empiler les décrets, les dispositifs et les mesures censées remédier à tous les inconvénients que des commissions ne cessaient d’analyser. Tout cela prenait beaucoup de temps, c’était très favorable aux grands volatiles qui se souciaient comme d’une guigne de la problématique des vrais mitous et qui aimaient bien mieux siéger dans leurs sièges où ils s’employaient avec un zèle extraordinaire à désorganiser et empêcher les activités des autres. (Le pouvoir ne donne pas des ailes, mais des sièges.) La situation était donc assez confuse pour devenir un sujet d’étude à part entière ; on veut même le rendre obligatoire ! (Et qui c’est qui a commencé ?)
De temps en temps (comme en 1763, 1882, 1968, 1984, 1986, 2007) et pour mille raisons qui ne regardaient pas toujours le progrès d’une éducation vraiment HUMAINE, les princes des humains s’en mêlaient et s’emmêlaient. On ne passait même plus par des dispositions LEGISLATIVES, on décidait comme ça de ci et de ça.
On dit que nous autres, avec nos septénaires de vies, nous sommes pessimistes de nature. Nous en avons tant vu ! Les humains, nous les voyons de près, avec leur insatiable volonté de pouvoir sur leurs semblables. Elle est encore plus forte, chez certains, que les deux moteurs jumeaux de la vie savante que sont le désir de transmettre les connaissances et l’amour de l’étude (= enseigner-chercher). Ce n’est pas a vagant female cat qui a la solution, on s’en doute.

mardi 3 février 2009


3 février
Que penser ? que dire ? que faire ?
Voilà en quelques mots où nous en sommes. Il y a deux aventures à raconter.

Première aventure. D’abord il y a eu un peintre. Pas un « artiste peintre », comme écrivent les jeunes usagers de l’Université (je sais cela, je passe du temps sur le bureau où se fait l’évaluation chiffrée des intelligences). Non, il s’est défini tout de suite lui-même comme un « ouvrier ». « Je ne suis qu’un ouvrier », a-t-il dit pendant qu’en bas, dans la rue, passait une procession protestataire interminable qui faisait beaucoup de fumée et de bruit et qui n’a même pas été capable de décrocher la dernière ridicule lanterne des « fêtes de fin d’année », qui se balance sous moi depuis la Toussaint, esseulée, indévissable, grotesque, attirant évidemment l’œil sur notre maison.
Cet ouvrier n’était pas aussi néfaste que la-jeune-fille-au-thermomètre, mais je l’ai craint lorsqu’il a entrepris d’emballer toutes choses avec ce qu’il appelait du poil d’âne. A la fin, tous nos livres étaient emballés dans du poil d’âne, et mon humaine pestait parce qu’elle avait tout le temps besoin des lumières de Monsieur Larousse, qui était sous poil comme tout le monde. Pour moi, je suis allée incontinent me mettre à l’abri dans certain placard de salle de bains d’où j’ai téléphoné à Alphonse, mon exclusif ami :
- J’ai un tuyau.
- A propos de la modulation des services ? a-t-il demandé (De quoi voulait-il donc parler ?) Moi, j’ai le filon.
Mon humaine voulait à toute force m’extraire de ce placard, et il y a eu un moment violent et confus : toutes les fenêtres étaient ouvertes, peut-être à cause de l’odeur insupportable du poil d’âne, j’ai eu bien peur d’être saisie de vertige et de tomber sur la crête d’un protestataire qui allait et venait le long du cortège comme une mouche du coche, le peintre peintrait et en bas la cégété le huait en lui reprochant de peintrer nos plafonds en jaune, pourtant je n’y voyais que du blanc, je n’y comprenais rien, la fumée rentrait à l’intérieur, les slogans sloggaient, les cornes cornaient, un curé tâchait même d’entraîner sa chorale, on voyait bien qu’il avait ronéoté les paroles du cantique mais personne ne suivait, ils aimaient mieux chanter le chant du toussansan. A la fin, le peintre a déclaré : « C’est moyenâgeux, tout ça » (authentique !), et il est retourné à son poil d’âne et à ses brosses. Je pense qu’il voulait dire que les gens de la procession étaient entre deux âges, et en effet il y avait autant de moins jeunes que de plus vieux. Il s’en est encore pris au Transaincœur, je crois que c’est une marque de papier peint qui ne contribue pas beaucoup au decorum des intérieurs, et il a ajouté avec beaucoup d’à propos : « Il avait beaucoup de moutons, Panurge. » (En voilà donc un qui a étudié Rabelais et non Madame de La Fayette.) J’ai dit :
- On ne peut pas dire le contraire.
Alors lui :
- Ah, vous avez un chat qui parle ?
- Et qui écrit !
Les gens ne s’étonnent plus de rien. Après, il est parti en emportant son poil d’âne et on a dû tout ranger. Mon humaine était contente. Elle dit que ce qu’il y a de bien avec les rangements, c’est qu’on retrouve toujours quelque chose. On a retrouvé deux « Tirez à part » (et pas toussansan), la souris marron made in Germany et deux balles made in China.

Deuxième aventure. Aussitôt après les retrouvailles avec les deux « Tirez à part », mon humaine s’est dit qu’elle devait faire son dossier d’avancement de droit commun. J’ai eu très peur. Je la voyais déjà sur la paille humide d’une cellule de la maison d’arrêt. Ne serais-je pas dans l’obligation morale d’aller la voir au parloir ? Ce qui me rassurait, c’est qu’il était question d’ « avancement ». S’il ne tenait qu’à moi, je la ferais avancer jusqu’à l’empyrée des doctes aussi promptement qu’elle m’enlève jusqu’au plafond blanc, mais je n’ai pas mon mot à dire et ce n’est pas demain la veille que l’on me consulte sur les promotions des enseignants-chercheurs. (Combien ce mot composé est malsonnant d’ailleurs, que de chuintements !) Je n’avais jamais vu faire ça, un tel dossier. C’est bien simple, on ne bouge pas, on coupe et colle sans manger ni boire, dans une concentration supérieure à celle que requiert toute tâche intellectuelle. Cela suppose une virtuosité extraordinaire. C’est presque aussi difficile, ai-je pensé, que de rédiger une petite annonce pour la rubrique « rencontres », car dans un cas comme dans l’autre, tu dois parler de toi à la troisième personne ou peu s’en faut. « Jeune chatte opérée (est-il utile de l’avouer ?), cinq ans (enfin six, mais bon), européenne, charme et distinction, cherche matou bonne situation pour sorties, vernissages, concerts, voyages culturels, plus si affinités (et même sans ça). Birmans s’abstenir (mais on ne va pas me tomber sur le poil pour discrimination ?) » Ou bien : « Maître de conférences de deuxième classe, responsable d’institut interne à la composante, très investi dans la passerelle du vivier, sérieux, bonne présentation, voiture (ça date un peu, mais tant pis), powerpoint, cherche les moyens d’accomplir sa haute destinée. » Autrement dit : « Aimez-moi ». Bref, je trouve que tout ça fait très Johnny.
J’ai dit :
- Si on ne peut pas se payer une commode d’époque (utile à mon séant, pensais-je), si tu n’as pas l’avancement de droit commun, Alphonse a une idée…
Elle m’a regardée, courroucée, avec l’air de sortir d’un rêve emberlificoté.
- Oui, il a une idée. Comme ton humaine, a-t-il dit, n’est pas très bien vue des instances locales, elle n’aura aucun avancement. Je vous ai trouvé quelque chose en remplacement de la commode.
- Il est bien question de commode ! Enlève-toi plutôt de dessus mon cévé.
Aujourd’hui, Alphonse est venu avec un copain et la « commode » : c’est « en fait » un composteur en plastique gris.
A mon petit niveau, j’ai pensé : « Et voilà où on en est dans l’Université française. »

dimanche 25 janvier 2009

Certains de mes lecteurs, et pas des moindres, ont remarqué (parmi eux, il se trouve d'assez bons amis pour le déplorer) que mes notes (ou posts) depuis quelques mois se sont raréfiées, raccourcies et souvent limitées à de vagues conseils de surfage et cliquage. Dois-je m'en expliquer ? Faut-il toujours se justifier de tout et mendier à tout propos des indulgences ? Devrais-je à présent rendre compte devant la ville et le monde de mes siestes, de ma pratique assidue de la vita contemplativa, de mes retraites studieuses entre deux colonnades de dossiers au dos desquels se lisent les étiquettes : "urgent", " à faire", "répondre", "factures", "important !!!", "en cours", dossiers toutefois fourrés de poussière bien épaisse ? Devrais-je, au lieu d'épousseter ledit "pussier" moelleux (ainsi disait-on au Grand Siècle, d'après ce que je sais), d'une queue nonchalante épousseter les réformes en cours de l'enseignement et de l'Université et de la recherche, et des concours et de l'évaluation, des recrutements et des retraites, qui siècle après siècle, ministre après ministre, étouffent sous leur molleton grisâtre la vie de l'esprit, l'étincelle du savoir, menacent la gaieté de la science, anéantissent la liberté et les grâces de la connaissance ? Ô réformes, décrets, mesures imbéciles ou iniques, s'il suffisait de vous dissiper par un sec petit mouvement de droite à gauche et de gauche à droite, comme je fais sur l'étagère des dossiers importants ! C'est un rêve que je fais là, assurément.

Mais d'ailleurs, suis-je tenue de donner mon avis sur toutes les vagues qui agitent la platitude de l'opinion, sur la saumure dont l'appareil médiatique relève le quotidien insipide des humains ? Et moi, qui s'occupe de me défendre ? Qui pétitionne à toutes griffes en ma faveur ? Qui expédie des mailings indépendants de toute obédience afin que l'on mette en permanence à ma disposition mes quatre souris de toile cirée made in Germany, afin que si l'une se coince sous un meuble d'époque indéterminée (les moins ergonomiques), je puisse incontinent me mettre à la poursuite des trois autres ? Non, ne croyez pas que j'aie mes mice comme ça sous la patte ! Il y a des commissions et des sous-commissions qui se réunissent tous les jours autour de tables avec jetons de présence pour se concerter sur l'opportunité d'extraire à la rigueur une souris de certaine potiche en Saint-Clément où elle croupit parmi un vivier d'admissibles. Encore ne l'en sort-on pas sans la morigéner copieusement : qu'elle n'ignore rien, surtout, du fonctionnement du système ! Qu'elle n'aille pas se flanquer sous un tapis dit d'Orient ! Qu'elle ne tente pas de s'élever au-dessus de sa condition ! Qu'elle ne se fasse pas trop de bile avant que moi, prédatrice en chef à l'estomac fragile, je me saisisse d'elle dune patte impériale et royale !

Hélas, mon humaine m'interrompt (mes références à K ù K lui déplairaient-elles ?):

- Et où veux-tu en venir, avec cette parabole ridicule ? N'est-ce pas là un symptôme de régression ? L'heure est grave. On t'attend, je crois, sur des sujets un peu plus sérieux.

- Si je donne un avis avisé sur la gravité de la gravitation universitaire (tout tombe vers le bas), aurai-je de l'avancement sur la bergère bleue ? Pourrai-je gratter avec une classe exceptionnelle le rouge tapis de la Perse ? Oserai-je espérer accéder aux revalorisantes petites boîtes dorées que tu serres sous sept clés comme s'il s'agissait des 500 millions de la Bégum ?


- OUI !!!

mardi 20 janvier 2009

At last !


Enfin ! First Cat à la Maison Blanche !