mercredi 31 décembre 2008

Bonne année !


Encore une année avec plein de zéros au beau milieu... Et me voici qui vous la souhaite douce, paisible et avec quand même de petites féeries. Je suis là en bas déguisée en page d'Arlequin dans un ballet chimérique.

dimanche 28 décembre 2008

VISVS


On m'ennuie actuellement avec des allégories des cinq sens de nature, et spécialement de l'Odorat, ODORATVS, comme si ces humains y connaissaient quelque chose. Eh bien moi, j'ai trouvé une allégorie de VISVS, par Monsieur Willem de Passe d'après Crispin de Passe. En voilà un qui savait de quoi il retourne !

mercredi 24 décembre 2008


Cette belle dame, je ne sais pourquoi, me fait penser à un ange...
En tout cas, à tous mes amis, je souhaite un joyeux Noël plein de douceur.
Krazy Kat

mardi 28 octobre 2008

Lettres de Rome


Le 28 octobre
Il y a ce matin deux lettres d’Italie sur ma table. L’une est de Pierre-Jacques-Onésyme Bergeret de Grandcourt, comte de Nègrepelisse, timbrée d’un petit sceau de cire bleue à ses armes. Elle est datée de Rome, à l’Auberge de l’Ours, et elle commence ainsi : « « Ce matin j’ai parcouru pendant trois heures la ville à pied ; on ne peut connaître une ville que de cette façon. Je suis entré dans toutes les églises que j’ai rencontrées. J’ai vu que je pouvois me perdre et me retrouver aisément […] La ville est mal pavée de petits pavés ; on dit qu’il y a des trottoirs ; effectivement il y en a dans quelques rues, mais ils sont souvent interrompus, et je ne vois pas qu’ils servent à grand-chose. » Le comte poursuit par la description de divers monuments. Il me tarde de lire la suite du récit de son voyage, et d’apprendre ce qu’il a vu chez les artistes qui séjournent au palais Mancini.
La seconde est de mon ami très cher, Alfonso, elle est écrite sur le papier rêche qui emballe la pizza rustica al taglio, et je déchiffre à grand-peine au dos, parmi les taches graisseuses, l’adresse : « FERMO POSTA Largo Argenti… templ… républic.. »
Elle commence ainsi : « Couvent de la Trinité-des-Monts, le 18 octobre. Me voici arrivé dans la Ville éternelle, ma chère K. Et selon la règle de nos conventions, il est temps que je fasse avec vous mon petit Président de Brosses. Routes, situations, villes, églises, tableaux, petites aventures, gîtes, repas, vous saurez tout. C’est en vain que vous vous plaindrez. Vos reproches ne seront pas capables de réformer mon caquet.
Or écoutez l’histoire entière
De quelques chats de Bourgogne
Qui ont franchi les alpes fières
Pour sans la moindre vergogne
Souiller la muraille altière
Du Castel Sant’Angelone
Vous saurez comment nous partîmes de Dijon en chemin de fer palatin peu véloce et comment nous arrivâmes d’une traite sur le Pincio, chez une certaine dame patronesse nommée Marie-Losange qui régnait souverainement sur plusieurs minitels à seule fin de contrôler nos entrées et sorties. Comme elle nous menaça d’emblée de nous laisser à la porte tout marris et contraints de mendier à la porte de l’auberge voisine (elle porte un nom tudesque qui m’est sorti de l’esprit), je la gardai à l’œil, vous l’imaginez. C’est là que nous fîmes connaissance avec la Mère Supérieure, et entendîmes sur la peinture du célèbre Braghettone la plus stupéfiante, la plus renversante, la plus prodigieuse, la plus excitante des interprétations, qui nous laissa tous les pattes ballantes.
Nous eûmes les pattes antérieures et postérieures moins ballantes lorsqu’il fut question d’aller visiter nos confrères du Largo Argentina. Nous les avons vus gras à ne pouvoir sauter sur un fût de colonne, entretenus qu’ils sont par une charitable Anglaise qui a fondé pour eux une sorte d’Accademia. Hélas, il faut pour y être admis renoncer à tous ses avantages, et je crois que les charmes mêmes de leurs esprits sont quelque peu offusqués par cette mutilation, car je ne les ai entendu discourir que de nutella et de coca. »

mardi 23 septembre 2008

Le 23 septembre


Ce matin, je cherchais comme cadeau de rentrée pour mon humaine une peinture (un groupe sculpté fera aussi bien l’affaire) représentant les saints Corpus et Méthode lorsque je suis tombée (façon de parler) sur certaine balle à rayures alternativement jaunes et puce qui rebondit admirablement. Et comme mon esprit aussi rebondit bien, et même mieux que celui des journalistes adorateurs de cette expression (« pour rebondir »), me voilà lancée à travers des steppes de parquet à la poursuite de ce damné stimulus sphérique (ou plutôt sphéroïde, tant je l’ai mordillé à travers les âges).
Or donc à force de rebonds voilà le stimulus bondissant qui va se musser derrière une rangée d’usuels !
Au même instant, un architecte à la mode, qui porte le nom d’un autre architecte du Grand Siècle et de l’auteur de la biographie de mon ancêtre M. Chat botté, donnait à la radio le mode d’emploi de l’exposition qui lui est consacrée. Lui vivant, on lui fait une grande exposition, et dans un endroit très fameux.
(Si vous donnez votre langue au chat à propos de cet architecte à la mode, ô étudiant en histoire de l’art, c’est que vous n’êtes vraiment pas fortiche, et vous me ferez le plaisir de suivre les cours extraordinaires du plan « réussir en licence »).
Or donc l’architecte à la mode racontait qu’il avait dessiné jusqu’aux sièges dans l’exposition, et qu’il était tout content, parce qu’il voyait que les visiteurs « s’y vautraient », et que cela marquait indubitablement leur « plaisir ».
Certes, on ne va dans les expositions ni pour s’esquinter les vertèbres lombaires, ni pour expier douloureusement quelque faute obscure.
Comme ma balle jaune et puce m’avait amenée juste derrière un volume jaune et noir qui s’appelle « Nouveau dictionnaire étymologique », jai eu lidée (mince, jai abîmé la touche 4’ en sautant, pourvu que mon humaine ne saperçoive de rien) de chercher ce que c’est que « se vautrer », et à ma stupéfaction, jai trouvé que ce mot dérivait du latin « volvere », autrement dit se tourner et se retourner comme quand on ne digère pas un crustacé, ou quand la litière nest pas irréprochabl (minc, j’ai abîmé la touch e , on va croir qu j vais suivr ls tracs du rgrtté Jacqus Prc). Par la même occasion, j’ai drôlement épousseté.
- Mais, remarque mon humaine, si tu entreprends de corriger les mœurs et façons de dire du temps présent, il te faut pour débuter renoncer à la sieste. Tu n’en auras jamais fini et tu vas nous ennuyer.
Je n’ai rien répondu. J’en aurais, des griefs à son endroit ! Quand je pense qu’elle m’a emmenée dimanche sur un champ de foire ! Rien à voir avec le Salon du Chat où mes pareils font des concours de beauté dans une atmosphère de recueillement sans pareil. Cétait, sous une tente alternativement brûlante et glacée, devant des tables chargées de papier qui s’était laissé imprimer, un défilé ininterrompu d’humains aux pieds mornes.
Elle m’avait mis dans le panier d’osier à ses pieds, et je ne voyais, dépassant d’une nappe de toile blanche, que des pieds. Lorsque je risquai un œil pour apercevoir autre chose, je vis leurs yeux, et ils étaient mornes.
L’un d’eux (ou l’une) s’arrêta toutefois : « Les livres, c’est embêtant, il faut les épousseter. »
Ils n’ont qu’à jouer à la balle d’abord, ces idiots.

jeudi 18 septembre 2008

Ben tornata !


Du nouveau sous le mauvais temps... Il est question de MOI à la première page d'un livre sur M. Raphaël (le vrai, celui d'Urbino). Et puis ma vie a subi un virage à 180 ° (j'ai changé de domicile). Et puis Alphonse a un gros rival dans le vaste domaine des arts (le beauceron d'un M. Mitterrand, nouveau directeur de l'Académie de France).

samedi 2 août 2008

no comment

vendredi 25 juillet 2008

Bonnes vacances !


Le 25 juillet
Alphonse a organisé une grande fête au Silo, avant qu’il ne soit envahi par le ballet des remorques de céréales (d’après moi, qui ai lu M. Félibien, ce fut une fête à programme ; d’après Sylvain Sylvestre, « une vache de teuf »). Une fois de plus, je fus mise à contribution pour rédiger cet avertissement :

Je supplie humblement le Spectateur de supporter les défauts de la fête dénommée Alfonséide ou les Plaisirs du silo enchanté, & considérer qu’étant chat, je n’ai pu concevoir tant de belles matières sans faillir en plusieurs endroits, protestant avec sincérité que j’aurai une parfaite obligation à ceux qui me feront l’honneur de m’avertir des choses qui ne seront pas selon leur goût, & je tâcherai de les satisfaire l’été prochain. Que le Spectateur veuille bien se souvenir qu’un Ange même en ces occasions ne pourrait pas contenter tout le monde. Il me suffit qu’on sache que j’ai fait ce que j’ai pu, et que j’aurais mieux fait si j’avais su.

Avant de débrancher l’ordi pour quelques semaines d’hypersieste et de chasse au gros, je prends provisoirement congé de mon journal et souhaite à tous un été enchanté.

lundi 21 juillet 2008

Illustres d'hier et d'aujourd'hui



Le 21 juillet
Il paraît que je suis en vacances – ou en vacance, ou vacante, vacante pour quelque chose, bien sûr, ou quelqu’un. « Toi, tu es en vacances », me répète-t-on à l’envi en me délogeant régulièrement des fauteuils principaux, particulièrement de certain profond fauteuil à oreilles. Or j’ai décidé de passer mes vacances dans le fauteuil à oreilles ; je l’ai loué pour toute la saison, et en outre pour la basse, l’arrière et la mauvaise saison. Je ne voudrais pas avoir à faire de réclamations, mais je ne vois pas pourquoi ma location de vacances devrait être déménagée sous prétexte de grand ménage compulsif, ni occupée par des derrières humains, ces séants obtus qui n’ont que faire de fauteuils audiophoniques.
Tandis que moi, il me faut un fauteuil à oreilles, car c’est là que j’ai des voix. Parfaitement, des voix, comme la Pucelle de Domrémy, que M. l’abbé Richelieu, ministre, grand homme d’Etat, avait mise dans sa galerie d’hommes illustres quoiqu’elle fût fille (ce qui prouve que cet abbé n’était pas n’importe qui).
- Mais pourquoi l’appelles-tu « Monsieur l’abbé » ? m’apostrophe-t-on. Tu sais quand même qu’il a été élevé à la pourpre cardinalice ?
- Je sais ça. Mais je ne pense pas offenser la mémoire de ce grand personnage avec un peu de familiarité. Qui sait quels noms et titres lui donnaient in petto les félins qui étaient ses familiers ? « Arrrmand…», ronronnaient-ils sans doute.
(Oh ! Dieu ! puissent ces humains me laisser tranquille ! Il faut toujours qu’ils aient le dernier mot, qu’ils fassent rugir une machine quelconque, mesurent le temps de façon maniaque et entreprennent cent projets stupides, au risque d’oublier de remplir de lait à l’eau ma tasse en vieux Longwy ; hélas, elle a été très mal restaurée, ce qui me tourmente bien.)
Donc j’ai des voix. Ou plutôt des bourdonnements, des chuchotements. Cela a commencé avec les éoliennes, dont il y a ici ce que l’on appelle un parc (tu parles !), et qui émettent des ondes plus néfastes que fastes, à l’exemple du wifi, des portables et des chauffe-casseroles à induction, sans parler de la roulotte suréquipée de « l’Eternel Bricolo ».
Je ne peux pas m’empêcher de parler ici de l’Eternel Bricolo, héros de notre temps, gloire de notre rue, incarnation des vertus de la modernité conquérante et technologique. L’Eternel Bricolo a déjà tout : plusieurs bagnoles, des quads, des motos de toutes tailles et marques, un petit tracteur, des vérandas hermétiques qui ne connaissent pas la température tempérée, des foyers à enfumer et cramer la saucisse en plein air (providence d’Alphonse, mon très cher ami, par les soirs d’été), des volets roulants automatiques après les portes, plusieurs grands plats en tôle sur le toit, une cheminée emballée en plastique bleu depuis la tempête de 1999 (de sinistre mémoire), une piste d’atterrissage en pavés autobloqués, etc., etc.
Or il y a deux ans, l’Eternel Bricolo a acquis (pour le prix d’un travers de porc) un véhicule gigantesque, véritablement hors échelle, d’une espèce presque ignorée dans la chrétienté et dont seuls les plus audacieux voyageurs dans le temps et l’espace ont pu avoir connaissance. Au demeurant, nul ne sait exactement ce que c’est. Deux écoles s’affrontent : les uns tiennent que c’est l’un de ces camions dans lesquels on faisait naguère monter les écoliers, écolières et les travailleurs, travailleuses pour les soumettre à un examen de radiologie embarquée ; les autres pensent que c’est une cabane de chantier sur roues. Quoi qu’il en soit, le monstre n’a que trois petites fenêtres haut placées, comme s’il s’agissait de dissimuler l’intérieur à la vue. (Je compte sur mon ami Alphonse pour tenter de s’y introduire, mais c’est peut-être une entreprise risquée.)
Depuis deux ans, l’Eternel Bricolo vaque à l’aménagement de cet engin qui obstrue les fenêtres de toute sa maison. L’année dernière, on a bien cru qu’il allait larguer les amarres : il s’était enfin ébranlé pesamment et malodoramment ! Hélas, ce n’était que pour aller se mettre à l’abri dans une grange voisine, pendant que l’Eternel Bricolo partait dans une authentique caravane. Au bout de trois jours, il était déjà de retour, bronzé et maugréant ; la première chose qu’il a faite, c’est d’aller chercher le monstre et de se mettre à le poncer : sssszzzzzssssssszzzzz.
Qu’en sera-t-il cet été ? L’événement dans notre rue, c’est que le monstre présente depuis hier sa poupe avec une immatriculation toute neuve et son tribord (alors que nous n’avons eu que la proue et le bâbord à contempler pendant deux ans), où s’ouvre une petite porte. J’ai aperçu Madame Eternel Bricolo gravissant un escalier en vis pour y porter un découpe-pizza électronique. Le départ est-il imminent ? Rien de plus palpitant que mes vacances !

vendredi 11 juillet 2008

J'écris un discours


Le 11 juillet
Alphonse, mon très cher ami (personne ne me croit capable des errances sentimentales dont mon humaine, cette indiscrète personne, a fait état récemment dans mon propre blog), Alphonse (tesoro mio), disais-je, a besoin des services de ma plume. Et pas pour lui ! Et pas pour n’importe qui ! Pour le Premier Manageur du Conseil Général ! On peut dire que sa fréquentation des valises à roulettes des élus et décideurs, il l’a rentabilisée !
En effet, son projet d’installation « live » au Musée a échoué à cause de l’humeur irascible de Loriot, et quand Loriot vocifère, on le nommerait plutôt Doriot. Tout autre qu’Alphonse se fût démonté sous le coup. Mais a-t-on jamais vu Alphonse démonté ? Les mauvaises nouvelles, les chocs affectifs, les avanies de tous ordres, les scélératesses venant d’en haut comme d’en bas, les revers de fortune, les choses coriaces à avaler (certaines lettres de refus poli sont pareilles à la peau plastifiée du saucisson), bref, le passage dans son ciel de la planète Saturne, ou pire, de la planète Pluton, laissent Alphonse impavide. Les échecs le fortifient au lieu de l’abattre. « Ce n’est pas la peine de sortir ton Plutarque ou ton Corneille, m’a prévenue Alphonse : c’est ce que l’on appelle de nos jours la résilience, dans notre langage à nous c’est retomber sur ses pattes, c’est la moindre des choses. »
Mon excellent ami a donc aussitôt mis au placard ce dossier et en a produit un autre entièrement différent. Il s’agit cette fois d’un spectacle théâtral, que dis-je, d’un festival estival de théâtre de rue. (Que l’on me pardonne cette succession de pléonasmes.)
- C’est bien tard, lui ai-je dit, pour proposer son projet. Toutes les subventions sont distribuées depuis longtemps. On n’attend après toi. (J’avais été un peu vexée par ses allusions aux grands auteurs.)
- Combien de fictions trompent cette féminine cervelle ! s’est-il exclamé.
Je repris l’avantage :
- Tu ne vas pas embêter le monde avec tes fantasmes bien connus : la grande guerre des chats contre les rats, l’harmonium, le développement durable, le tuyau, l’insecte…
- Aucunement. Ignores-tu que nos élus locaux eux-mêmes débordent d’imagination pour surprendre le public ? A quoi bon se tracasser encore pour créer, mettre en scène, répéter quoi que ce soit ? Le Premier Manageur m’a déclaré, non sans me souffler aux moustaches son haleine sentant le kir : « Alphonse, j’ai l’écrin, tu es le bijou. J’ai les bénévoles, tu es le professionnel. J’ai le faire-savoir, tu as le savoir-faire. J’ai la légitimité, tu as l’expression… » Là, il s’arrêta, ce qu’il venait de dire le dépassait.
- Et alors ?
- Alors il faut que je lui écrive son discours. J’ai les mots-clé.
- Mais le spectacle, qu’est-ce que c’est ?
- Aucune importance. Le thème, car il faut un thème, c’est « Roulettes et roulottes ».
- Oui, là au moins tu as une vraie compétence.
- Bon, écris, maintenant… Une formidable vitrine pour notre territoire…
- Je mets « incontournable », c’est mieux que « formidable ».
- Oui. Notre patrimoine revisité…
- Notre RICHE patrimoine, ou exceptionnel.
- Il faut parler de la Renaissance…
- La Renaissance ? Leon Battista Alberti, Ange Politien, tout ça ?
- Non. Il suffit de mettre que c’était une période de bouleversement extraordinaire qui annonce déjà les Lumières, le siècle 21, etc. Et là, il faudrait parler de la guerre de 14-18, parce que c’est l’autre axe des projets culturels de cette année.
- C’est dur… Bien, poursuivons.
- Et puis, ce festival, c’est un mélange de purs joyaux et de crotte de bique, il faut le dire mais pas comme ça…
- Non, bien sûr. Je vais écrire : « Donner à voir et à entendre dans le même week-end la musique ancienne et la modernité sociale, c’est le signe d’une vitalité culturelle qui fait sienne la volonté de s’offrir au plus grand nombre et aux sensibilités les plus différentes. Le Département est le partenaire naturel et sans réserves d’une telle démarche.»
- Tu ne peux pas mettre « opportunité » quelque part ? Et puis la paix à bâtir, les générations futures, le développement durable, et un autre dont je n’arrive plus à me souvenir.
- Facile ! Attends, je termine… « Roulettes et roulottes est un événement majeur dans le Grand-Est… » On ne met rien sur l’arrivée du CFHR (Chemin de Fer Horriblement Rapide) ?
- Non, ça c’était l’année dernière. Sois moderne.
- Je ne suis jamais moderne, mon cher. Il me suffit d’être actuelle et intempestive.
- … Parfait ! Ton texte est parfait !…Dis donc, je fais quand même 60 spectacles, sans parler du « off ».
- Quel prodige ! Je n’arrive pas à comprendre comment tu t’y es pris.
- Fastoche ! Il y a dans la ville bien plus de 60 matous en résidence d’artistes. Quand on est en résidence, et qu’on veut éviter d’avoir des fourmis dans les pattes, on est prêt pour la déambulation, or tous les spectacles sont déambulatoires, poétiques et de terrain. Tu viendras ?
(Oui, je viendrai, je ne manquerais cela pour rien au monde, puisque c’est l’ouvrage d’Alphonse, mon inimitable ami.)

vendredi 27 juin 2008

Des nouvelles de Mlle Krazy



Bien que je sois, non sans condescendance, obstinément désignée par Mlle Krazy dans son "journal éphémère" comme "son humaine", et que cette désignation me range dans une catégorie tout à fait subalterne, je me vois obligée, devant un silence dont certains s'alarment, de donner quelques nouvelles de cette chatte illustre.

D'abord, il faut savoir qu'elle est depuis peu amoureuse : l'heureux élu est fort jeune, grand de taille, il a les yeux couleur pastis (consommer avec modération), une face toute ronde, un air sempiternellement étonné, de longues jambes et pas de fesses (toute ressemblance avec une personne, etc.). Il n'a absolument pas de manières, est très cavaleur mais Mlle Krazy, à l'exemple de nombreuses héroïnes de la fable et de l'histoire, prend son indifférence pour une marque paradoxale de passion excessive à son égard. Bref, les jeux de balles et d'oiseau n'amusent plus notre héroïne, les livres lui tombent des pattes et elle passe toutes ses nuits dehors.

Les élections au Moulin, qui tenaient en haleine ses lecteurs depuis qu'elle avait révélé les procédures peu louables de la présélection des dossiers, n'ont pas eu lieu : comme le dénommé Bougnat voulait à toute force faire passer SA candidate, qui se trouvait en même temps être sa chérie, et que cette jeune personne n'avait pas été qualifiée par l'Archiconfrérie des Carrières aux fonctions de chercheur-saigneur de rongeurs, il a fallu mettre le poste au congélateur jusqu'à l'an prochain. Espérons que l'impétrante ne sera pas d'ici là tombée en disgrâce !

En attendant, Bougnat l'Universel s'est associé avec Loriot et Berlingot pour monter un vaste projet de recherche intitulé "Coucous et pompes". Alphonse (le ci-devant très cher ami de Mlle Krazy) n'est pas content car il n'est pas dedans. Il espérait pourtant présenter une installation relative à la spirale logarithmique composée d'escargots vivants (voir le cliché qu'il nous a obligeamment communiqué, ce dont nous le remercions très vivement), idée pompée au fameux architecte Le Corbusier. Tous ceux qui ont des idées pompées ici et là, comme ceux qui sont entraînés à occuper les nids, niches et dadas d'autrui sont les bienvenus dans le projet de recherche "Coucous et pompes". Nul doute que Mlle Krazy, quand elle aura fini de se prendre pour la princesse de Clèves, ne donne toutes les informations souhaitées sur cette grande entreprise scientifique destinée à promouvoir la citation tronquée, le trapèze volant, le fusil cintré pour tirer dans les coins et l'eau déshydratée.

Nous pensons pour la distraire de ses amours mal assorties conduire Mlle Krazy à l'opéra, voir "Le Songe d'une nuit d'été" de Benjamin Britten.

lundi 9 juin 2008

Miséricorde


Voilà ! je suis rentrée en grâce ! On m'a ouvert la Porta del Perdono !

Entre-temps, je n'ai pas fait pénitence, mais j'ai lu un livre d'un certain M. Jünger appelé "Orages d'acier" qui me procurera le moment venu d'utiles arguments.

Ci-dessus un retable de Sassetta qui se trouvait justement non loin de la Porta del Perdono au dôme de Sienne, histoire de changer de sujet...

lundi 2 juin 2008

Le 2 juin



Là, ça va mal. Où trouverais-je encore la force de ces aphorismes et gentils haïkus que je tournais la semaine passée tout en confiant tristement à mon journal éphémère mon exclusion sociale ?
D’abord, il y a eu du monde, et pas des pratiquants du développement durable ni de l’otium, c’est le moins que l’on puisse dire. J’étais pleine de bonne volonté, j’avais décidé de faire des efforts pour me montrer sociable, en signe de contrition à la suite de l’affaire des sept oiseaux jaunes. Dès potron-minet, je m’activai de la cuisine au jardin, étant continuellement « dans les jambes » des humains affairés, qui ne manquaient pas de dire : « Tu vas me faire tomber ! » avant d’ajouter : « C’est un comble, cette Krazy est tellement folle ce matin qu’elle nous fait prononcer des mots d’aïeul arthritique ! » Je sentais que je n’étais pas totalement rentrée en grâce, ces choses-là sont inexprimables. Mais je faisais contre mauvaise fortune ronron en me rappelant certaines maximes stoïciennes et évangéliques. Cependant, à l’heure de la pause prandiale d’un nourrisson, j’ai eu un choc terrible.
Je m’étais approchée de ces préparatifs désorganisateurs de maisons en pensant qu’ils me rappelleraient l’époque où répandue sur la pierre fraîche je pratiquais l’allaitement naturel avec mes six mitous en chantonnant de béatitude. J’ai été très déçue. J’ai d’abord vu un emballage de carton très épais, qui enveloppait un autre package transparent, lui-même embeddant (ce mot existe) un récipient qui à première vue contrefaisait une face d’ours. Vous qui me lisez, vous devez aussitôt vous dire : « Et là, Mlle Krazy immanquablement songe aux objets de la Kunstkammer de la Hofburg à Vienne, à tel hanap de chalcédoine en forme de tête de rhinocéros qu’elle sait être au château d’Ambras, à un nautile monté en surtout de table qui est à la Voûte verte (Grüne Gewölbe) du palais de Dresde. » Oui et non. Je n’ai pas eu le temps d’entrevoir dans ma tête ces merveilles de l’art et de la nature. Le récipient dont je parle était en plastique jaune. Les oreilles contenaient, je crois, de la compotée de racines (le fabricant n’est quand même pas assez fourbe pour employer l’expression traditionnelle « purée de carottes »), et le museau était plein, à ce que j’ai entendu, de confit de canard (je n’aurais jamais cru que ce mets fût adapté à des papilles de quinze mois). L’ensemble n’avait pas meilleure allure ni alléchant fumet que le manger d’Alphonse, mon très cher ami, quand on lui achète « des boîtes du Lidl » (la première des œuvres de miséricorde corporelle pour les chrétiens).
Je me dis que quand l’enfant sera d’âge scolaire, il coûtera très cher à la communauté parce que les rectorats d’académie devront rivaliser d’imagination pour concocter « la semaine du goût », « la semaine du commerce équitable » ou les visites coordonnées à grand renfort d’heures de concertation, d’une usine Nestlé et d’une exposition Jordaens. Je les vois d’ici, les rectorats, créer des cellules et des délégations, organiser des planques, coordonner des ressources, présenter des objectifs, bâtir des socles, concevoir des journées, favoriser des actions. Bref, il leur faudra susciter un tsunami de mesures visant à améliorer le rapport taille-poids des enfants et des adolescents, ce qui est tout de même une tâche plus digne que celle à laquelle nous convient les billevesées que M. Platon nous raconte dans ses Lois et sa République. (Tiens, est-ce un hasard, voilà que j’écris comme un médiocre étudiant de L1…)
Les hôtes sont sacrés : personne n’a osé leur dire que l’on pouvait peut-être essayer de passer un peu de rôti de veau à la moulinette, avec quelques vrais légumes ?
J’en ai eu marre, et je suis allée traîner dehors. C’est là que je l’ai entendue zinzinuler, la fauvette (voir http://www.chants-oiseaux.fr/). Elle était avec son mari, et ils m’ont fait découvrir non pas le nestlé mais le nest, installé à moins d’un mètre de haut, dans un buis. Je suis allée aussitôt ramasser un coolpix et je les ai photographiés, les cinq petits.

Il y a des dimanches comme ça, d’ennui, de mélancolie, de langueur indéfinissable, qui tournent à la tragédie.
Les fauvettes ne voulaient pas tellement jouer à la balle, elles étaient tout de suite ko. Ensuite, tout s’est passé très vite : un torchon mouillé a volé au-dessus de ma tête comme le glaive de l’ange du Seigneur dans la peinture de Masaccio à Santa Maria del Carmine, j’ai entendu des imprécations horribles. Maintenant l’ostracisme radical, je n’y comprends absolument rien.

lundi 26 mai 2008

Qu'y puis-je ?


Le 26 mai
Le sage considère sans alarmes les jours qui passent emportant comme fétus les passions du public.
Parfois une seule faute anéantit toute une vie d’honneur et de vertu.
La réputation ne s’estime pas au nombre des pages que l’on a écrites.
Un entendement excellement poli ne s’accompagne pas toujours d’un cœur compatissant.
Il existe des savants qui n’ont pas de problématique.
Pour avoir les suffrages des sots, faites des choses.
Fuyez ceux qui écrivent plus qu’ils n’ont lu.

Je suis en pénitence, sans ordi, sans gervita (le dessus), sans société. Hier mon humaine a procédé aux funérailles de sept mésanges (oiseaux jaunes et noirs avec petit gilet gris).

mardi 13 mai 2008

Poste à pourvoir


Le 13 mai
(Tiens, encore une date anniversaire.)
Je me figurais, et mes amis lecteurs (il en reste même après que j’ai cultivé « l’Art de se taire » de M. l’abbé Dinouart) se figuraient peut-être que j’allais mettre à profit ces belles journées de loisir, privilège des habitants de notre pays, pour me détendre l’esprit avec les fantaisies de mon imagination ; ou encore pour me perfectionner dans quelque science nouvelle ; ou tout simplement pour restaurer mes forces SUR LE MUR.
Je n’ai rien pu faire de tout cela.
En effet, j’ai été très occupée à suivre les procédures du recrutement d’un chercheur-saigneur de rongeurs au poste très convoité ouvert dans la spécialité « écosystèmes des prédateurs saisonniers » au département Farines et Moutures du Moulin de notre village.
L’on ne m’avait pas conviée à faire partie de la commission de recrutement comme membre extérieur. Mes états de service sont mal connus dans le pays.
Il ne m’a pas fallu longtemps pour comprendre que le profil « écosystèmes des prédateurs saisonniers » n’était qu’un masque grossier dissimulant une appellation occulte : « gestion du rat à longues moustaches du magasin du local du personnel ». Cette bête brute – pour parler comme M. Hobbes et autres honnêtes humains – a en effet un ornement pileux qui l’apparente au sieur Bové. Il faut être « dans le réseau » de notre village pour connaître ces détails et cet expédient (cette « versutia »).
Une commission féline ad hoc s’est donc réunie au Moulin pour « dans un premier temps » examiner les candidatures.
Il y avait 98 dossiers à examiner (il n’existe pas, c’est malheureux, de planning familial dans nos quartiers). Deux se sont révélés irrecevables parce que les candidats avaient été qualifiés dans la section 38, « Méthodes et pratiques des concerts dysphoniques », et non dans la 32e. Il a quand même fallu discuter de leur cas pendant cinquante minutes, au motif que leur fourvoiement pouvait être l’indice d’une capacité d’adaptation hors pair, et qu’entre la lecture littérale de la Loi et le risque de passer à côté d’un raminagrobis de première pointure, il n’y avait pas à balancer. Mais le président a fait remarquer que les recalés, saisis par un sentiment d’injustice bien légitime, pourraient ensuite porter l’affaire devant les tribunaux. Oh ! là là !
Il a donc distribué les 96 dossiers, ici et là, à droite et à gauche. Bougnat a eu 90 dossiers à examiner, parce qu’il connaît de bien près le poste ouvert au concours, de si près qu’il est en lustre sabbatique (il s’occupe depuis que le monde est monde du rat à tête ronde du vestiaire du personnel). Le dénommé Nesquik (dans ce village, il y a avalanche de noms idiots) a eu trois dossiers, et le président, qui s’appelle Apache, a pris les trois autres en disant qu’il devait se dépêcher car il n’avait que dix minutes pour attraper la dernière patache. (Il était déjà debout en disant ça.)
J’ai su sans aucune peine où Bougnat a entreposé ses 90 dossiers : il les a mis chez mon humaine, derrière un arroseur Gardena. Je suppose qu’il a pensé qu’un artifice aussi hydraulique, humide et mouillant en même temps que puissant et dynamique (si bien qu’on le croirait inventé par M. Salomon de Caus en personne) ne pourrait inspirer qu’horreur et répulsion à la gent féline impliquée dans le recrutement.
C’était sans compter avec le beau temps (que les jardiniers nomment déjà « la sécheresse ») qui a provoqué la mise en service de cet ustensile.
Que d’exclamations !
- Qu’est-ce que c’est que ça ? Il en a, un culot, ce Bougnat, etc., etc.
Avec ma numaine, nous avons donc regardé les dossiers après avoir avec soin dénoué la ficelle.
C’est instructif.
Il y a un dossier qui m’a bien plu. La candidate avait une thèse sur « genre et prédation », où elle parlait de MOI, disant que la maternité ne m’avait pas empêchée de détruire en trois semaines la totalité des rongeurs du champ du voisin. (Il fallait bien vivre. L’eût-elle souligné que son analyse me fût apparue irréprochable.) Mais mon humaine m’a fait voir que regardé de près, ce dossier montrait que cette jeune personne n’avait à son actif qu’un seul mulot, qui figurait dans plusieurs rubriques. (Encore sa capture était-elle annoncée comme « à venir ».)
Certains dossiers venaient de loin, même du chef-lieu d’arrondissement où il y a une grande école de chasse.
L’on voyait bien que tous les candidats avaient sué dans la rédaction de ces dossiers, qu’il y en avait d’innocents comme le chaton à la mammelle, mais aussi de roués et madrés, et des vieux routiers, et certains qui avaient de bons parrains.
Nous reficelâmes le paquet exactement comme il l’avait été.
Puis le journal donna des conseils de présentation pour l’oral, qui au Moulin s’appelle une audition. Il recommandait de ne pas mâcher le népéta la veille, de faire une toilette ni insuffisante ni excessive (dans le juste milieu préconisé par M. Aristote), de ne paraître ni rodomont ni craintif, de s’attendre quand même à avoir les pattes moites.
Vendredi prochain, la commission se réunira une seconde fois pour entendre les rapporteurs. La reficelle est à un atome près comme était la ficelle : d’apparence intacte. Je gage que Bougnat ne la touchera que vendredi. Il est en ce moment dans deux autres commissions qui lui font sillonner la région.
Mon humaine m’a donc mis entre les pattes certaine étude (http://www.laviedesidees.fr/Le-localisme-dans-le-monde.html).
- Ce recrutement au Moulin me fait un peu penser à l’Université française, a-t-elle observé en se replongeant dans sa lecture.
- Non, ça n’a rien à voir. Nos commissions à nous sont généralement incompétentes, dépourvues de prudence et d’équité. Mais regarde donc l’addition à cette étude : http://www.laviedesidees.fr/IMG/pdf/20080512_localisme2.pdf.

mercredi 30 avril 2008

Mourir au monde pour accéder aux célestes plaisirs







Le 30 avril
A moi les redresseurs de torts ! Au secours, défenseurs des comprimés (j’ai remarqué que l’on ne dit plus très souvent « opprimés » mais de préférence "oppressés", aussi proposé-je « comprimés ») !
Toussensembleu, pétitionnaires !
Me voici comme l’humble tisserand de soie qui désespéré par la servitude, dans une cave mal aérée fabrique la vêture somptueuse des puissants ; je suis présentement comme la mouche qui va laisser sa vie dans une jatte de lait ; ou celui qui à l’aise comme un pape ( ?) ayant confié sa vie à une nef voguant sur l’onde amère, prêt d’arriver au port fait naufrage ; ou encore comme un roi d’échecs se morfondant au fond du sac avec les autres pions ; comme le centaure qui préféra la mort à l’immortalité pour ne plus avoir à supporter les vexations des méchants ; comme un décharné harcelé par les inspecteurs du fisc en vue d’un « redressement » ; comme un poisson qui avec l’amorce mord sa fin funeste ; etc., etc.
J’en ai assez de contempler la chemise et la lance de frêne de M. Saladin, soi-disant et mal-disant champion oriental du « Respice finem » ; ou les jeunes vipéreaux qui en naissant déchirent le flanc de la vipère leur mère ; ou la guenon qui étouffe son petit à force d’indulgence maternelle (au lieu de le confier à une super nanny à grosses lunettes) ; ou la vache qui rit ; ou même le phénix unique au monde renaissant de ses cendres.

Je n’en peux plus des ivrognes, des paillards, des babillards, des vieillards luxurieux, des flatteurs de cour, des amis jusques zà la mort (ou après elle, ou dans elle, ou par elle), des hermaphrodites carrément fous, des fossoyeurs à casquettes de turfistes dessinés par M. Woeiriot pour Mme de Montenay, des Muses et de la courtisane Laïs, d’Ixion avec son bizarre appareil de musculation, des pourceaux d’Epicure et du coquillage appelé « le pourpre » avec sa langue pendante, des putti jouant avec des crânes comme si c’étaient des lego, de l’épée au-dessus de la tête du tyran. Assez des sabliers et des chouettes ! Assez des mites stupidement amoureuses de la flamme des chandelles ! Je finirai même par en avoir assez de la connaissance des bonnes lettres, sans laquelle la vie est une mort civile. Tant pis ! Je n’en peux plus !

Si je me lamente ainsi, c’est que depuis des jours, je n’ai plus accès au trackpad de mon bon vieil ordi. Je suis sur une petite chaise pleine d’incommodités (nouvelle invention), probablement destinées à humilier en moi « le corps verminant » (il est vrai que l’on m’a purgée la semaine dernière), ou à éteindre le feu de la concupiscence – ou encore à rabaisser ma superbe – et je regarde l’écran où défilent d’incroyables niaiseries : mon humaine est pour l’heure frénétique à cause de certain articulet emblémiste bien macabre dont elle n’a même pas encore trouvé le titre… Or cela est à rendre pour janvier de l’année en cours, d’après ce que j’ai cru comprendre.
De temps en temps, elle se tourne vers moi l’air sévère et interrogateur, comme si je pouvais lui être d’un secours quelconque. Car l’âme des bêtes (pas de toutes, toutefois) est censée abriter la solution des grandes énigmes de la vie et de la mort. Laissons les misérables humains s’abuser de cette créance, leur illusion nous est plus profitable que nuisible. Mettons notre menton entre nos pattes benoîtement repliées l’une contre l’autre, feignons le sommeil.
- Pourquoi, ô félin hiéroglyphique, mets-tu ta patte dextre et ta patte senestre en forme de « fidei simulacrum » ? demande-t-elle.
Que voulez-vous répondre à cela ? Attendons que le temps passe. Et il passe vite… « Toutes choses pendent à un tendre fil », la vie n’est qu’un couloir et il n’importe que de n’être pas pris au dépourvu quand on daignera me donner du fromage blanc.

mardi 22 avril 2008

In the country


Le 15 avril
Quand je vois le fer de la bêche entamer la glèbe, je crois toujours qu’il va mettre au jour « l’Hercule tenant l’Enfant avec la peau du lion ». Chaque fois, je suis déçue. Mais aujourd’hui, j’ai vu sortir de terre un petit fragment d’assiette en barbotine. C’est ancien. Or qu’en ferai-je ?

Le 16 avril
J’ai bel et bien oublié à la ville le cordon de l’ordi, cet appendice qui sur les parquets ondule en replis tortueux, et sans lequel le miracle de technologie de M. Apple se révèle plus muet et stupide qu’un bout de ferraille tombé l’été dernier d’une moissonneuse-batteuse, objet sans mémoire ni avenir.

Le 16 avril
J’aime à respirer les profondes senteurs des jeunes plants de buis cueillis naguère à la lisière d’un bois puis repiqués avec succès au jardin. Ce bois est sur le territoire de ce qui fut à la fin du Ier siècle avant Jésus-Christ une opulente cité romaine. Nous autres, nous aimons le buis. Que dis-je ? Nous l’avons en adoration. Son caractère sacré ne nous échappe pas. Je m’enivre de l’odeur de liturgies qui ont plus de deux mille ans (qui m’auraient peut-être cassé les pieds en leur temps) !

Le17 avril
Fait la connaissance d’un voisin, le dénommé Bougnat, noir avec une espèce de petit foulard blanc. Je le vois souvent occupé à démolir en sautant dessus un antique mur de pierres sèches que son propriétaire, féru de doubles-tournettes à moteur débridé et de squads, ne saura jamais réparer.
Je pourrais admirer pendant des heures un beau mur de pierres sèches, exemple de la variété et de l’unité qui président à l’existence des choses bien conduites. Il y a mur et mur. Dans un beau mur se voit – se lit comme à livre ouvert – l’art de celui qui l’a élevé.
Il n’y a pas deux pierres semblables, chacune a son rôle et pour ainsi dire sa personnalité, même les petits rogatons que l’on a employés ici et là en guise de cales. Chacune a son calibre, toutes sont liées. Chaque lit superpose un plein au joint de l’assise inférieure. Les chaînes horizontales bien parallèles sont un matelas dunlopillo à mon échine. Au sommet, deux rangées de tuiles rondes me font un boulevard tapissé de saponaires et de joubarbes.
L’humain qui a donné à Bougnat son nom arverne, laborieux et charbonneux, a-t-il même vu qu’il y a un mur ? Et tant mieux, car s’il s’en avise, il maudira ce vestige et se mettra à bétonner.

Le 18 avril
Bougnat prétend recueillir sur « 68 » ce qu’il appelle « des témougnages », ce que « 68 » fut, ce que « 68 » ne fut pas, les pour, les contre, ceux qui veulent et ceux qui ne veulent pas en finir avec « 68 ».
- 68 a commencé avec Vatican II, lui dis-je.
Hélas, Bougnat est radicalement laïque et même bouffeur de curés. (Il y a ici une vieille tradition de ce mode d’alimentation, qui remonte au moins à 89.)
Dans sa quête des témougnages vécus (dans une vie antérieure, cela va sans dire), Bougnat n’a pas grand succès. Il y a bien le Gros Gris de la rue Raymond Poinrond qui a fait l’expérience d’un retour à la terre sur le ban voisin, contre l’avis de ses père et mère : il s’est brûlé les joues en voulant fumer (au lieu de mâcher) le népéta, notre herbe à rêves, et ce fut un échec, son élevage de muridés. Le Vieux Blanc de la rue Sous les Vaches, lui, est allé au chef-lieu où il a milité avec les miaouistes : il aime à raconter ses barricades, ses garde à vue, mais il s’embrouille un peu dans ses vies, il lui arrive de confondre Cohn-Bendit et Maginot. La Rousse de la rue des Canards a elle aussi un beau passé militant, elle a porté les banderoles du MLC : elle a mal fini, à présent elle frotte les douleurs d’un intellectuel qui pour avoir été révolutionnaire ne s’en est pas moins mis à écrire une biographie d’Henri de Régnier.
- Et toi ? me demande Bougnat. Qu’est-ce que tu as fait en 68 ?
- La même chose qu’en 58, en 48 et en 38 : j’ai lu des masses, j’ai fui les masses. J’ai tâché de ne pas bêler avec les bêtes à laine, et de ne pas hurler avec les loups.

Le 19 avril
I hate dates !

Le 20 avril
Enfin, certaines dates.

lundi 14 avril 2008

14 avril


Il y a, comme dit le vieux Danielo à la fin du « Rivage des Syrtes », le très beau roman de Julien Gracq (Paris, José Corti, 1951, p. 308), « un vif amusement » à voir « l’homme ployé » quémander une place, ou même l’aumône d’un coup d’œil. C’est ce que j’ai pensé en voyant un méchant homme (son cou redressé à la perpendiculaire tellement son échine était ployée) tâcher tout à coup de se pousser dans les parages d’un savant de très haute réputation.
En effet, l’autre jour, on me conduisit gentiment à la Maison de Ville afin de me faire prendre l’air de la société, et il y avait là une infinité de caractères fort divers, dont les ambitions, les ressentiments, les jalousies, les satisfactions se répandaient comme des vapeurs ou essences très intimes, mais qu’il m’est donné, comme chacun sait, de percevoir avec une extrême acuité.
Ce méchant homme hésita d’abord, ne sachant s’il allait s’approcher et se faire connaître, suant la peur d’être éconduit (bien que cela n’arrive jamais avec ce grand savant). Enfin il s’avança lentement, cauteleux, avec coincé aux lèvres un rictus servile qu’il croyait être le comble de la déférence naturelle. Se souvenait-il d’avoir souvent méprisé ouvertement, avec ses pareils, et dans les termes les plus vils et lâches, le grand savant et son enseignement ? Mais c’est qu’il entrevoit à présent quelque rogaton à ronger. Et si l’on n’y prend garde, il rongera l’humanisme comme il a rongé les Croisades, la Réforme catholique et les Lumières (surtout éteintes).
Mais suffit là-dessus. Je viens de lire « en fraude » un passage de la troisième – et hélas, dernière – partie de l’autobiographie de Gregor von Rezzori, « Murmures d’un vieillard » (Paris, éditions du Rocher, 2008), le récit parfaitement ironique et parfaitement déférent d’une conférence de M. Habsbourg (Otto) à Vienne en 1990. Il me semble que j’y étais ! Mais oui, j’y étais, dans une autre vie de chatte paneuropéenne !
- Comprenne qui pourra, a conclu Alphonse, mein Liebling.

jeudi 10 avril 2008

Le 10 avril




Si la lecture des journaux ne peut plus guère être assimilée à une « prière quotidienne », comme disait certain philosophe allemand, en revanche elle offre à l’observateur des mœurs de ce siècle une litanie proprement stupéfiante d’invocations à la divinité Bêtise, qu’il est fort injuste à l’égard des droits de l’espèce bovine de décrire, à la suite de M. Charles Baudelaire, avec un « front de taureau ». Mais « énorme », oui, d’accord.
Hier deux chiens de la race la plus dangereuse, dont j’ai oublié le nom fort long à consonance anglo-saxonne, vagabondaient sans collier, menaçants, dans la ville. (Combien je suis heureuse d’être bien à l’abri, occupée que je suis avec Alphonse, mon très cher ami, à concevoir deux expositions ou plutôt installations - plutôt qu’une - dans l’appartement de mon humaine !) Bref, soudain les deux molosses (il y en a un en photo, une photo qui le montre plus avantageux que redoutable) s’en sont pris à un caniche ou ci-devant barbet tenu en laisse par son maître et en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, l’ont mis en pièces sous les yeux des badauds terrorisés. La police a réussi à « abattre » l’un d’eux, provoquant une grande émotion populaire et un attroupement qui a paralysé la circulation à une heure de pointe. L’autre, qui a été cerné dans le jardinet d’un riverain (pauvre jardinet, malheureux riverain) par une brigade canine sera probablement « euthanasié ». En effet, lorsqu’une cagne de ces espèces interdites attaque un humain et que le fonctionnaire commis au maintien de l’ordre a le cran de le neutraliser, on écrit qu’on l’ « euthanasie ».
A une époque où la plus grande confusion règne dans l’opinion sur les questions de morale en général, quel peut être l’effet sur les lecteurs de cet emploi aberrant d’un mot que le Petit Larousse (majesté incontestée des bibliothèques d’usage) définit comme « une pratique visant à provoquer la mort d'un individu atteint d'une maladie incurable qui lui inflige des souffrances morales et/ou physiques intolérables, spécialement par un médecin ou sous son contrôle ». Assurément, les plumitifs intrépides qui sévissent dans les journaux n’ont retenu que la fin de cette acception, à supposer qu’ils l’aient vérifiée.
Si les lecteurs raisonnent, et il n’y a pas de raison de penser qu’ils ne raisonnent pas, postulat qui déjà me donne assez mal à la tête, comment n’en infèreraient-ils pas que la cagne irréductible doit être supprimée à cause de ce qu’elle pâtit ? De ses remords insupportables peut-être ?
Lu encore deux autres trucs moins graves, qui ne sont pas comme celui-ci inexcusables mais qui me laissent un peu perplexe : l’hôpital des nounours et les enfants au Parlement. Des étudiants de 2e et 3e année de médecine passent au scanner des ours en peluche et simulent des opérations chirurgicales sous prétexte de dédramatiser l’hospitalisation aux yeux des enfants. Un député laisse sa place au Palais-Bourbon pendant toute une journée à un enfant élu par ses camarades.
- Mais ça ne fait de mal à personne, me dit justement Alphonse.
- C’est juste un peu puéril, intervient Lazare.
- Poussez-vous, grogne Sylvain Sylvestre, que je voie quel effet aura mon effigie en forme de limace confrontée à « La Dame au masque » du sieur Callot.
- Et ma photo dans la valise du député, je la mets dans la bibliothèque ? s’inquiète Alphonse.
- Oui, et mets-y la légende : « Bonne journée à vous », d’après le message de rupture de Jane-Odette. (Et toc !)

dimanche 6 avril 2008

Le 6 avril


Il neige et je me suis employée à méditer profondément sur ce que sont les fils et les aiguilles, les réussites et les insuccès. Pourquoi ? Pour des raisons aussi nombreuses et capricieuses que le sont les flocons de cette neige d’avril.
Il y a eu d’abord la visite d’un professeur qui va écrire la biographie d’un poète israélien, Nathan Alterman. Nathan Alterman est né à Varsovie en 1910 : à l’âge de quinze ans, après un long périple à travers la Russie, la Bessarabie, il est arrivé avec sa famille à Tel Aviv. Il a poursuivi ses études de sciences en France, un an à Paris à la Sorbonne, et de 1930 à 1932, il a vécu à Nancy où il a suivi les cours de l’Institut agricole et colonial, ancêtre de l’Ecole nationale supérieure des sciences agronomiques. Ensuite, il est reparti en Palestine – qui était alors comme l’on s’en souvient sous mandat britannique - où il est mort en 1970. Lui qui avait parcouru plusieurs pays dans sa jeunesse, ne voyagea jamais plus. Il écrivait, écrivait, des poèmes et des articles de journaux, des chansons, des traductions. Il traduisit Molière et Racine en hébreu, c’est dire sa profonde connaissance de la langue française. J’en ai été émerveillée, moi qui ai été photographiée lisant « le Misanthrope » sur la table de mon humaine. J’ai été bien attristée aussi, lorsque j’ai appris qu’après la mort du poète, sa fille avait mis fin à ses jours : chez certaines âmes fragiles, la pensée de l’amour reçu n’est pas assez vigoureuse pour consoler du tourment de survivre à ceux qu’elles ont chéris.
Or j’ai suivi de près les enquêtes sur le séjour à Nancy de ce jeune étudiant. Elles ont paru d’abord fort compromises, car les archives de cet Institut ont été complètement détruites non pas au cours de l’une des nombreuses guerres que se font ces satanés humains, mais à cause d’une inondation (telle était l’impéritie des autorités avant la grande révolution mémorielle). Par chance, l’Institut avait un bulletin annuel et une association d’anciens qui nous apprennent que Nathan Alterman est arrivé avec onze autres jeunes gens et jeunes filles de Palestine, et qu’il est reparti avec son diplôme et la mention assez bien.
Le téléphone sonnait souvent, les allées et venues imprévues se sont multipliées. Il fallait absolument rencontrer un vieux monsieur qui a encore connu certaine école d’application où les étudiants de l’Institut faisaient des stages pratiques. Les choses ont été si précipitées et confuses que vendredi matin, mon humaine a MIS L’ALARME en dépit de ma présence dûment constatée dans la maison, et que je n’ai pas eu d’autre solution que de me tenir aplatie sur le rebord d’une fenêtre, en une place fort exiguë que je sais à l’abri des radars et autres détecteurs. Mais cela a duré, duré, car le vieux monsieur, qui vit solitaire dans la seule compagnie d’un tigré (Gaston), était extrêmement bavard et a sorti, m’a-t-on dit, une montagne de documentation utile et inutile. La recherche, c’est cela. Encore est-on bien heureux lorsque la montagne de l’inutile accouche d’un muridé utile (en voilà un oxymore !)
Dans la recherche existent aussi heureusement les miracles. Comment appeler autrement ces occurrences troublantes où la quête étant vaine et archivaine, le chercheur est prêt à renoncer, à remballer ses fiches, tout défait, tout amer, et qu’un ange tutélaire l’effleure soudain de son aile et lui souffle : « Cette série N, ou Y bis, pourquoi ne pas en regarder l’inventaire ? » Il reste dix minutes avant la fermeture, l’employé s’emploie à en déployer déjà les signaux (il convient même peut-être de songer à le corrompre), et le chercheur s’agite soudain frénétiquement. Mû par cent ressorts inattendus et par un espoir insensé, il remplit une fiche, voire deux au mépris de la grande aiguille de l’horloge. Voilà, la liasse est là, il se meurtrit les ongles à la ficelle, il franchit des feuillets et des feuillets, et soudain le NOM arrive là sous ses yeux en même temps que son cœur bat à tout rompre ! C’est là qu’il faut savoir suborner le mercenaire qui dans un odieux bruit de clés préside à la fermeture, et le persuader encore de faire une photocopie. Oui, la vie du chercheur est une vie d’aventures.
C’est ainsi que notre professeur de l’autre jour, cinq minutes avant la fermeture des archives, a trouvé quelque chose qu’il n’espérait plus trouver, l’adresse du jeune poète, inscrite dans un registre de recensement de la population (nationalité : « Turc » et « chef de famille » puisque vivant seul). De fil en aiguille, il s’est avéré que la maison est aujourd’hui celle d’un ami, etc. etc. J’ai vu et respiré la photocopie (non pas arrachée à la mauvaise grâce d’un employé, mais tout au contraire faite avec beaucoup d’obligeance), car j’adore ces écritures, toutes bouclées et alertes bien qu’elles soient défuntes, et ma pensée se perd là-bas, à l’autre bout de la ville, dans une grande maison du début de l’autre siècle, non loin du musée de l’art nouveau (quelle merveille !) et de la piscine (quelle horreur !), une maison où cet étudiant a été heureux et plein d’appétit de découvertes, au point que l’œuvre littéraire de toute sa vie, ensuite, resta comme inclinée vers ces années d’apprentissage, façonnée par ce séjour dans notre ville et par l’atmosphère bien particulière et stimulante qui y régnait, semble-t-il, avant que la terreur ne s’y déchaînât comme partout.
Et moi, je tenais entre mes pattes ce document d’une seule ligne qui m’entrouvrait le monde de sa vie, alors que je suis incapable de lire une seule ligne de ses écrits.
Qu’est-ce qu’un destin ? me demandais-je ensuite. Nous qui avons neuf vies, ou davantage, nous ne comprenons pas exactement ce qu’il faut entendre par là. Notre préjugé est que chaque existence peut se corriger par la suivante. Prenons par exemple ce fameux M. Rembrandt, à propos de qui le débat est fort vif, entre ceux qui tiennent qu’il a connu une réussite éclatante en tant que créateur de tableaux, de dessins et de gravures, et d’autres qui prétendent que ses ambitions ont été un échec. Eût-il été des nôtres, cette question n’aurait aucun sens.
Et si le destin des artistes n’est autre chose que celui de leurs œuvres, que dire des êtres ordinaires, innombrables, qui au terme de quelques décennies passées sur terre, ne laissent rien derrière eux ? J’étais dans cette inquiétude à leur sujet lorsque mon humaine, qui saute toujours fâcheusement d’un sujet à l’autre, m’a mis sous les yeux un site internet où sont reproduits (recopiés patiemment, et « copier c’est étudier ») des centaines et des centaines de carnets et journaux de marche de régiments de la guerre dite grande guerre, et là, sur le bleu de l’écran, il y avait des mots qui racontaient les derniers jours d’un grand-oncle à elle, tombé à Kortekeer près d’Ypres le 17 décembre 1914, des témoignages dont personne n’avait eu connaissance jusque là, bouleversants.
- Quand on cherche, on trouve, a fait remarquer Alphonse, mon cher ami, qui aime les aphorismes et a avec un naturel optimiste une grande habitude des poubelles.
- Non, c’est justement quand on ne cherche pas que l’on fait des découvertes, ai-je répliqué.
- Arrêtez de vous disputer, est-elle intervenue. Vous parlez comme des chiffonniers, comme s’ils s’agissait de chiner, de fouiner.
Je n’ai rien dit, je voyais bien que j’aurais dû faire allusion à une forme de soin, de vigilance, qui faisait revivre grâce à de minces traces écrites qui n’avaient pas dépendu d’eux, des hommes aux destins bien différents. Mais je ne sais pas bien expliquer ces choses très difficiles. Allons favoriser ces pensées des conseils de la nuit.

lundi 31 mars 2008

De LA BUANDERIE au Pincio

Inutile de faire trop long. Voilà ce qu'Alphonse, mon très cher ami, trouvera demain au courrier.

Le Président de la République
Paris, le 31 mars 2008
A Monsieur Alphonse Muchat
Directeur du Centre d’arts transplastiques LA BUANDERIE


Monsieur,
Madame la Ministre de la Culture et de la Com m’a fait part de la proposition retenue par la commission consultative pour le choix du nouveau directeur de l’académie française de Rome, de vous nommer à ce poste. Je tiens à vous en féliciter au nom du Peuple Français.
Cette nomination récompense votre engagement au service de l’art et des arts. Elle montre quelles belles réussites peuvent être obtenues grâce à l’acharnement au travail que la France n’a jamais cessé de promouvoir et de défendre.
Nous avons retrouvé dans vos affiches les valeurs d’une appellation mondialement connue, et dans votre vidéo « Instant Magic 30’ » l’émotion qui a été celle des milliers de lecteurs des « Fureurs héroïques » du Signor Giordano Bruni, que vous avez su adapter avec sensibilité et élégance. Je tiens à évoquer sa mémoire en ce jour de joie et de fierté.
En vous réitérant toutes mes félicitations, je vous prie d’agréer, Monsieur,
l’expression de ma considération distinguée.
Nicolas Sarkozy

dimanche 30 mars 2008

Le 30 mars


Je me suis trompée ! je croyais que l'heure des taies me procurait une heure de sommeil surnuméraire. Hélas, c'est l'inverse qui s'est produit et je m'en trouve toute perturbée. Dommage, car mon dessein était de me livrer à certaines spéculations sur la théorie comparée du carrousel plein de diapositives et du powerpoint. A moins que l'approche du premier jour d'avril ne m'inspire tout autre chose... Allons, voyons si nous trouvons une couche propice à cette entreprise.
(Note : Mlle Krazy a présentement élu domicile sur un balai à franges.)

lundi 24 mars 2008

Eloge de la Mémère



Krazy à son cher ami Alphonse. Salut.
Ces jours derniers, comme je revenais de Bourgogne en Lorraine, pour ne pas perdre tout ce temps que je devais passer dans le TSP (Train Super Prompt) en bavardages où les Muses n’ont pas de part, j’ai préféré réfléchir sur des questions ayant trait à nos communes études.
Jugeant que dans mon panier de voyage je devais m’occuper à tout prix à autre chose qu’à des mots croisés et autres sudokus, et les circonstances ne se prêtant guère à une méditation sérieuse (les voyageurs aux oreilles encombrées produisaient une basse continue continue), j’eus l’idée de m’amuser à un éloge de la Mémère. Quelle Pallas, me diras-tu, te l’a mise en tête ? C’est d’abord le mot de mémoire qui m’y a fait penser, car tu n’es pas sans savoir que chacun aujourd’hui a ce mot devant les dents, et que le plus oublieux, le plus étourdi, le plus écervelé des humains est capable de discourir à perte de vue sur le devoir de mémoire et le travail de mémoire. Et le mot de mémoire est aussi voisin de celui de Mémère que l’échine l’est de la Chine, ou la cause de la chose, la maison de la raison, l’odieuse de l’Odette, etc.
J’ai donc supposé que ce jeu de mon esprit recueillerait ton approbation, parce que tu prends d’ordinaire beaucoup de plaisir à ce genre d’amusements, et que tu tiens volontiers dans la vie le rôle d’un Démocrite. Tu accepteras volontiers de le défendre, cet éloge qui t’est dédié. En effet, il ne manquera pas de détracteurs pour le diffamer, disant que c’est une bagatelle à la fois trop légère et trop mordante, qui jette le discrédit sur la gravité académique. Mais ceux qui s’offusquent du caractère ludique de ma prose ferroviaire, je voudrais qu’ils songent que de grands auteurs avant moi se sont amusés avec l’éloge de la noix, du moustique, de la calvitie, de la fièvre quarte, du ciron, du corbeau, de la puce, de l’âne, du porcelet, de la guerre des grenouilles et des rats, et que les lecteurs y ont trouvé plus de profit qu’aux argumentations graves et spécieuses de certains quotidiens du soir et du matin. « Car si rien n’est plus frivole que de traiter de choses sérieuses avec frivolité, rien n’est plus divertissant que traiter de frivolités en paraissant avoir été rien moins que frivole », comme dit l’excellent M. Erasme.
Partout on entend dire du mal de la Mémère. Mais la diatribe la plus violente qu’elle ait jamais essuyée, c’est sous la plume d’un célèbre littérateur de notre temps qu’on la trouve, dont je tairai le nom par pure charité tant il s’est déshonoré en déblatérant cette figure vénérable, avec une haine proprement incroyable des tabliers en satinette à fleurs et de ce qui est en-dessous. Depuis, le même littérateur, bien reconnaissable à sa sempiternelle coupe au bol, s’est à nouveau avili en vilipendant « la France moisie », Gallia muscida, c’est-à-dire couverte de mousse (et non couverte de souris, comme on pourrait le croire). Mais je ferai un autre jour, tel un nouveau Virgile, l’éloge de la mousse, de la croûte du fromage, et de la souris. Aujourd’hui, je chante la Mémère, célébrée avant moi par le regretté Michel Simon.
La Mémère est accablée de toutes parts dans l’opinion, sa mise en plis du samedi, son tablier, son veillées des chaumières, son tricot, sa toile cirée, son pélagornium et son datura, sa télé surmontée d’une vierge de lourdes enclose dans une boule à neige, et bien sûr (hélas), son chinchin. C’est donc ramper terre à terre que de vouloir la louanger.
L’une des règles du genre veut que l’on commence par rehausser par leur patrie ceux que l’on a entrepris de louer : je poserai donc mon édifice sur une base d’or, comme dit M. Pindare, en affirmant que la Mémère vit le jour, non pas à Athènes certes, mais pourquoi pas à Paris, ou dans mille autres villes insignes, et que ce serait une erreur sociohistorique de la faire naître obligatoirement dans une commune de moins de trois cents habitants et dépourvue de projet porteur. On n’a rien de précis sur ses parents et sa première éducation. A l’âge où la pente vers le plaisir est facile à la jeunesse, la future Mémère, s’abandonnant à la première sorte d’amour, celui qui fait bouillonner dans l’âme les flots de la Vénus populaire, négligea-t-elle le labeur des nuits au point de rater quelques passages dans la classe supérieure ? Naquit-elle chez des gens de bien, mais point trop adroits, qui pensaient que le destin des filles est de trouver un époux et d’épousseter son petit chez soi ? On ne sait. Mais qu’importe, puisque c’est d’après ses œuvres que je veux juger la Mémère.
Or il n’y a personne qui puisse lui être comparé en fait de courage quotidien, d’ardeur impétueuse, de tempérance, de mépris des préjugés, d’humanité, de bonne foi, de bon sens, de bon cœur, de patience, de générosité, de sagacité, de fermeté et de droiture devant les orages de la vie, de vigueur et de persévérance : je ne sais où porter mon esprit tant la Mémère, modestement, obscurément, humblement, rend de services à la chose publique.
Cependant, il n’est pas difficile de sortir de cet embarras, et de choisir une seule de ses qualités. Homère souvent ne loue de ses héros qu’une partie d’eux-mêmes, les pieds, la tête ou la chevelure, quelquefois leurs armes, leur bouclier, car il est impossible de parler de toutes leurs perfections à la fois. Je ne retiendrai chez la Mémère que l’œil ouvert : elle épie inlassablement les occasions de bien faire, de rendre service et d’aplanir les obstacles devant ses voisins dans l’embarras. La franchise de sa parole lorsqu’elle résout un problème de gestion domestique est comme un fer qui brûle et coupe ; elle réveille malgré lui l’oisif assoupi comme s’il avait bu de la mandragore, et l’exhorte à planter sans délai ses pommes de terre (la saint Joseph, dernier délai !) ; elle se préoccupe fort peu d’être agréable à l’élu municipal qui a coupé quatre beaux tilleuls pour créer deux places de stationnement ; elle soutient de ses propres deniers et de sa présence assidue la seule association locale de macramé ; elle relève par ses encouragements la veuve esseulée, l’enfant que l’on gronde, le père d’un voyou ; elle fomente des alliances et des pactes là où ça paraissait impossible ; rien ne lui échappe, aucune ruse ne la trompe, personne ne l’achète.
Tu l’as compris, Alphonse, mon cher ami, la Mémère est la dame qui m’héberge quand mon humaine est au loin. Grâces lui soient rendues, ainsi que pour leur aide en fait de rhétorique à M. Erasme de Rotterdam et M. Lucien de Samosate.
A la campagne, un peu après les Ides de mars.

lundi 17 mars 2008

Le 17 mars


Décidément, je ne suis jamais dans le vent de l’histoire : hier soir, à l’heure où les résultats des élections tombaient, un livre mal rangé m’est presque tombé sur la tête, et c’était « André Chénier, Œuvres complètes ». N’ayant pas la force de le remettre à sa place – certains penseront peut-être que ma « debolezza » était due auxdits résultats -, j’ai entrepris de le lire, tout en me faisant la réflexion que si ç’avait été le livre de John Gage sur les couleurs, je ressemblerais à l’heure actuelle au petit collet de fourrure d’une chaisière, dépouille même pas panthéonisable (« Qu’est-ce que c’est qu’une chaisière ? » me demande Alphonse, mon très cher Ami, actuellement penché sur mon omoplate.)
Je ne l’ai lâché, ce livre, qu’à cinq heures du matin, qui est l’heure où d’ordinaire me prend une petite faim. C’est dire que je l’ai lu à fond, pas seulement « La Jeune Captive » et « La Jeune Tarentine » (celle-là m’a fait faire un cauchemar terrible, c’est triste de tomber d’un yacht aussi bêtement), mais encore des fragments d’odes et d’élégies, des articles sur la chose publique, des lamentations sur les excès des sociétés patriotiques, des ébauches, des bucoliques inachevées, des épîtres et que sais-je encore.
Il existe des blogueurs, des plumitifs, des publicistes et des polygraphes qui parfois, accablés de tâches, au lieu d’écrire, recopient d’interminables passages d’autres auteurs, avec l’excuse mensongère de les commenter. Je ne voudrais surtout pas les imiter, les ayant souvent âprement critiqués, mais de mes veilles à la lumière d’une lampe, je veux néanmoins rapporter ceci, cette exception, sous le titre « De la cause des désordres qui troublent la France et arrêtent l’établissement de la liberté ».
« Il existe au milieu de Paris une association nombreuse qui s’assemble fréquemment, ouverte à tous ceux qui sont ou passent pour être patriotes, toujours gouvernée par des chefs visibles ou invisibles, qui changent souvent et se détruisent mutuellement ; mais qui ont tous le même but, de régner ; et le même esprit, de régner par tous les moyens. Cette Société, s’étant formée dans un moment où la liberté, quoique sa victoire ne fût plus incertaine, n’était pourtant pas encore affermie, attira nécessairement un grand nombre de citoyens alarmés et pleins d’un ardent amour pour la bonne cause. Plusieurs avaient plus de zèle que de lumières. Beaucoup d’hypocrites s’y glissèrent avec eux, ainsi que beaucoup de personnages endettés, sans industrie, pauvres par fainéantise, et qui voyaient de quoi espérer dans un changement quelconque. Plusieurs hommes justes et sages, qui savent que dans un Etat bien administré tous les citoyens ne font pas des affaires publiques, mais que tous doivent faire leurs affaires domestiques, s’en sont retirés depuis. D’où il suit que cette association doit être en grande partie composée de quelques joueurs adroits qui préparent les hasards et qui en profitent ; d’autres intrigants subalternes à qui l’avidité et l’habitude de mal faire tiennent lieu d’esprit ; et d’un grand nombre d’oisifs honnêtes, mais ignorants et bornés, incapables d’aucune mauvaise intention, mais très capables de servir, sans le savoir, les mauvaises intentions d’autrui. » (Alphonse, mon ami toujours obligeant me dit de préciser ici : « Toute ressemblance entre cette situation - février 1792 – et l’actuelle serait évidemment pure coïncidence. »)
La suite : « Cette Société en a produit une infinité d’autres : villes, bourgs, villages en sont pleins.[…] Tant qu’ils les gouvernèrent, toutes les erreurs de ces sociétés leur parurent admirables, depuis qu’ils ont eux-mêmes été détruits par cette mine qu’ils avaient allumée, ils détestent des excès qui ne sont plus à leur profit.[…] Ces Sociétés délibèrent devant un auditoire qui fait leur force ; et si l’on considère que les hommes occupés ne négligent point leurs affaires pour être témoins des débats d’un club, et que les hommes éclairés cherchent le silence d’un cabinet ou les conversations paisibles, et non le tumulte et les clameurs de ces bruyantes mêlées, on jugera facilement quels doivent être les habitués qui composent cet auditoire ; on jugera de même quel langage doit être propre à s’assurer leur bienveillance. […] Ce gouvernement, dont chaque jour ils embarrassent la marche, ils l’accusent chaque jour de ne point marcher… »
- Etc., etc., tu n’as pas peur de te présenter ainsi à la vindicte des brigands à talons rouges et des brigands à piques ? me demande Alphonse. Où veux-tu en venir ? Vraiment, nous vivons dans un Etat libre et bien ordonné, as-tu vu tant de fripons pendant ces dernières électionsqu’il te faille exprimer ton ressentiment avec une telle énergie ? Ce n’est pas parce que tu as peur, comme nous tous, des humains qui sont réunis et qui crient que tu dois t’emporter avec ce M. Chénier, qui vivait à une tout autre époque que la nôtre !
- Mais tout citoyen a la devoir d’attaquer de front ce qu’il juge être pernicieux, n’est-ce pas ? Je n’ai pas dit avoir observé ces dernières semaines « cette terreur des bons, et cette audace des méchants » qui conduisit M. Chénier sur l’échafaud. Ce serait fort exagéré. Mais comme lui, je suis fatiguée des brouillons qui crient partout que la patrie est en danger, de tous ceux qui prospèrent sur la chose publique « comme des chenilles sur des arbres fruitiers » (pouah !), j’ai vu plus de passions déchaînées que d’honnêteté publique, et entendu plus de dogmes verbeux que de raisonnements, et cela me déplaît. Ajoute à cela le grand désintérêt de la moitié de ces humains pour le droit de voter, que l’on peut aussi bien appeler devoir.
- Tu m’étonnes ! Tu sais ce que les maîtres de la jeunesse enseignent depuis une génération en guise d’éducation civique ? Un exemple : la jeune fille d’en-dessous, qui est en quatrième, m’a dit avoir à faire un « dossier sur l’homoparentalité ».
- Bon. Ce n’est pas toi qui vas l’avancer beaucoup.
(Je ne sais pourquoi, il est vexé.)

samedi 8 mars 2008

Le 8 mars



Lazare m’a dit tout à l’heure : « Tiens, si nous allions prendre l’air, j’ai entendu dire que l’air était chargé de particules. » Je n’aime pas à contredire mes amis, aussi nous sommes-nous installés tous les deux derrière le garde-corps nous séparant d’une fenêtre, alors qu’en bas des humains fonçaient à une allure infernale dans leurs tôles à roulettes. Lazare est si curieux de tout ce qui touche à l’aristocratie, la noblesse et tout ça ! Enfin, de notre observatoire, en tordant un peu le col vers la gauche (eh ! oui, vers la gauche…), nous voyions la plus belle place du monde, et vers la droite (et pourquoi pas à droite ?) une porte monumentale aussi noire que du café, environnée par un « « espace en attente de requalification », c’est-à-dire inqualifiable.
Nous ne pouvions presque pas parler, étourdis que nous étions par la ruée desdites tôles qui se frôlaient, se dépassaient, leur dessein à toutes étant, il me semble, de s’enfuir le plus loin et le plus vite qu’elles pouvaient lorsque certaine lampe ronde devenait de la couleur d’une mandarine (je ne distingue pas trop mal les couleurs, grâce à ma formation dans les beaux-arts). Nous avons vu aussi beaucoup de ces doubles-tournettes que les humains appellent, je crois, « vélos ». Ces engins allaient à sens autant qu’à contresens et à la confusion ; souvent ils étaient montés par des dames à chignons et lunettes ayant pour la circonstance revêtu de longues jupes grises si peu commodes qu’elles devaient descendre et continuer à pied, encombrées de leur machine chargée de victuailles, de sorte qu’elles pouvaient s’emplir les poumons des fameuses particules. Un coup de pédale débouche les artères, une inspiration les rebouche, pensais-je assez cyniquement.
Et puis je me suis mise à somnoler, Lazare concentré voire inquiet à côté de moi. Je commençai même à rêvasser, et dans mon rêve se mêlait la perspective d’une mulot-party à laquelle je suis invitée pour les vacances vernales (il ne faut plus dire pascales, ça fait clérical) dans les Cévennes, et la rumeur d’une humaine conversation en-dessous de moi.
- Elles sont nulles les boutiques, ici… Elles sont…
- Arthur, je t’en prie, sois poli.
- Mes copains, ils ont des chaussettes prada, i m’en faut.
- Mon chéri, tu en auras la semaine prochaine.
- Non, i m’en faut tout de suite.
- Mais je ne peux pas t’en chercher tout de suite, j’ai mon cours de lapalissades, et après, mon taï tchi.
- Non, i me faut mes chaussettes, i me faut mes chaussettes.
Après, mon rêve me conduisit à l’intérieur de la Terre, où régnait un pandemonium digne à la fois d’un vieux film de Woody Allen dont le titre ne me revient plus, et des scènes proto-industrielles qui sont peintes sur les murs du Studiolo de Francesco de’ Medici et qui se passent dans les mines d’alun, les forges, les antres des alchimistes, etc. Dans mon rêve, il n’y avait pas de mines d’alun, mais des « mines d’essence » (on sait bien que l’activité onirique défie le bon sens), mon rêve n’allait pas dans le sens du développement durable, certes.
- Mes chaussettes, continuait l’Arthur.
Il devait bien connaître la psychologie maternelle. « Môman, ma petite môman », entendis-je tandis que mes « mineurs d’essence » ravageaient les entrailles de la pelote nommée Terre. Alors j’entendis claquer les portières de la tôle de la môman, qui ressemblait à une chaussure de sport taille 34, et vaguement, je dérivai vers les profonds âges géologiques où des mers, des mollusques et des bêtes étranges avaient formé à force de millénaires ce brouet que les humains savent transformer en puissance et en vitesse, afin que môman procure toutes affaires cessantes des chaussettes prada à son arthur.
L’après-midi passa. Les passants passèrent. Je revins plus ou moins à l’état de veille, un peu mélancolique, à côté de Lazare toujours désireux d’attraper au vol une particule.
C’en était fini, hélas, des tracteurs des élections municipales. J’aimais bien, pourtant, ces jours passés, les entendre vanter la réhabilitation imminente, la végétalisation, la réabomination, le point ceci ou cela, le monsieur crottes qui distribuerait les canisacs (hi, hi, hi), la madame réseau, l’éco-quartier, la mixité sociale, les artistes en résidence (voilà qui réinsufflerait du dynamisme à LA BUANDERIE), la nouvelle génération, la saleté propre, la puanteur parfumée, le terrain multisports, l’étroite concertation. Heureusement, on va les revoir la semaine prochaine, plus déterminés encore !
J’en étais là de mes réflexions lorsque la petite tôle en forme de chaussure se gara pile en-dessous. Môman et Arthur s’en étant extraits non sans efforts :
- C’est super, l’Estampille-Boulevard. Quarante paires pour le prix de trente-neuf.
Voilà comment je vois les choses : pendant des millénaires, des mollusques ont bouilli dans le sein de la Terre, des humains se sont échinés à raffiner, transporter, fabriquer, vendre, savoir et faire savoir, ils ont élargi les rues, bitumé et rebitumé, noirci les portes monumentales, pour que môman et son arthur fassent quatre-vingts kilomètres au-delà de l’hyper-centre. Et dans les autres tôles, ce samedi après-midi, autant de mômans, autant d’arthurs. Ils sont nuls, ces humains.

mardi 4 mars 2008

Le 1er mars...



Ce matin, accident de personne dans LA BUANDERIE. Oh ! l’imprudent muridé qui a aventuré ses jours dans ce temple de l’art ! Quelle obscure sépulture que les entrailles d’un commissaire d’exposition ! Où est-elle, la châsse d’or qu’il promettait de lui faire faire ?

Le 2 mars
Comme est véritable la maxime du sage : L’esprit tournoie de toutes parts, et il revient sur lui-même par de longs circuits ! (C’est ce qui arrive quand on fait trop d’internet.)

Le 3 mars
Relu le conte célèbre de M. Perrault, « Le Chat botté ». Tremblé au récit de la rencontre avec l’ogre. Admiré comme les faucheurs et le moissonneurs s’exécutent, de peur d’être tous hachés menu comme chair à pâté : puissance de la parole du chat tout à la fois démarcheur, impresario, chef de cabinet, directeur de campagne et conseil en communication ! Prestige de ses mensonges et de ses menaces ! Il paraît que ce récit – et ceux qui lui ressemblent dans tous les pays du monde – est un souvenir de très anciens rituels d’institution royale. Dans certaines versions, son maître étant parvenu aux honneurs suprêmes, le chat contrefait le mort. « C’est bon, je vais te mettre à la poubelle », déclare le maître. Alors le faux mort : « C’est bon, je vais te remettre dans ta condition première ! » (Il fait bon lire des contes en ce moment, bien qu’Alphonse, mon très cher ami, m’ait rapporté une brassée de tracts en papier recyclé ou recyclable du marché dominical, là où abondaient les candidats aux élections.) Dans la magnifique gravure de Gustave Doré, on voit bien à quel point le maître est sans consistance.

mardi 26 février 2008

Le 26 février



Damned ! Dix-sept jours que je n’ai pas écrit une ligne ! Et maintenant, conformément aux usages des égo-documents, je devrais m’épuiser en discours introspectifs sur mon silence, sonder cette pause et informer le lecteur, si lecteur il y a, des tenants et aboutissants de ce passionnant mutisme ! Il est vrai que pleine de bonne volonté à l’égard de toute modernité passée, présente et future, j’ai essayé : alors comme tout le monde de nos jours, j’ai scruté – periculosa scrutatio ! - grâce à certaine indiscrète webcam l’apparence de mon bout du nez noir et mat. Eh bien je n’y ai vu que du noir et du mat (avec un petit bout de mon col rouge, bien sûr). Et la psychologie, qui n’aime que la vive lumière et l’étincellement du mental, abhorre le noir et le mat.
A quoi peut donc bien s’occuper un chat qui n’est pas greffier de sa petite âme sinueuse ? A bien des choses, parmi lesquelles je citerai seulement le lancer de balle, le dribble, l’accélération au départ, la crise épileptique sur siège interdit, l’escalade, l’effarouchement d’oiseaux stupides, les amours de passage, la méditation immanentale, la découverte du patrimoine des greniers et caves, l’art du soupir les yeux mi-clos, le rêve éveillé et le rêve endormi, et le rien de rien. Sans parler des songeries inopinées que procurent tel livre ouvert à telle page, telle peinture ou image : ainsi le tableau de Poussin avec l’histoire de Camille et du professeur des écoles de Faléries, qui livre à l’ennemi tous les écoliers, et comment ceux-ci le ramènent tout nu et lié, en le fouettant et en louant le dictateur pour sa bonté. Je n’ose imaginer quel salmigondis en feraient aujourd’hui les journaux.
Non qu’il n’y ait eu aucun événement autour de moi. D’une part, à intervalles réguliers, mes oreilles ont été fatiguées et même offensées par les informations, qui sont plutôt des déformations, des mots et bruits tournant obsessionnellement autour d’une seule chose, ou de deux ou trois qui reviennent quand même à la première, avec des parlotes infinies sur ce qu’il faut en penser ou ne pas en penser, ce qu’il aurait fallu dire ou ne pas dire, faire ou ne pas faire, et cela à perte d’ouïe, avec sans cesse des rebondissements aussi insignifiants qu’imprévus. D’autre part, mes amis m’ont causé de grandes émotions. Non pas Sylvain Sylvestre, qui était comme l’on sait en vacances de neige sans neige, mais peut-être avec lapins « défins », dans les montagnes cévenoles. Ni Lazare, qui était à Paris pour être intronisé dans l’Ordre de la Capucine au Salon de l’Agriculture. Ni mon humaine, qui « ennuyée du travail d’une pénible estude, / Avait conduit ses pas dans une solitude. » Non, la cause de mon tourment, ce fut Alphonse, mon très cher ami.
Alphonse a passé cinq jours et demi enfermé dans l’église du village, le village où « las de l’éclat du Louvre, de l’entretien des Rois,/ Nous cherchions le silence, et l’écho des grands bois. » Il était allé, comme il dit, faire un tour pour humer l’air du temps, et voir si l’on ne pourrait pas en milieu rural susciter une démarche innovante en faveur des beaux-arts. Je l’avais bien avertie, pessimiste : « Là tu n’entendras rien qu’un sifflement d’oiseaux,/ Qu’un bruit entre-meslé de chiens & de corbeaux,/Que le bourdonnement d’une ruche sauvage, /Et que les sots discours d’un homme de village… »
Rien à faire : il s’est entortillé autour du cou une espèce de chiffon à carreaux avec lequel il pensait faire « jeune agriculteur branché », il a troqué sa casquette blanche pour une autre vantant un redoutable désherbant sous l’égide d’une puissante coopérative, et il s’en est allé rôder sur le terre-plein (ou plutôt terre-vide) de l’église. Il faut qu’une église soit ouverte ou fermée. Or elle n’est ni l’un ni l’autre. Ou presque, car il faut reconnaître qu’elle est parfois ouverte : il y a un office environ tous les deux mois, et de temps en temps un enterrement résonnant des chansons de Barbara ; au mois de juin on voit parfois un mariage ou pandemonium avec la mariée habillée en rouge et des multitudes d’enfants auxquels le prêtre aimerait bien lancer des injures et des baffes tant ils hurlent, mais il n’ose pas car la dignité de son ministère le lui interdit.
Mais si elle est rarement ouverte ou fermée, l’église est tantôt aérée, tantôt renfermée, ce qui n’est pas la même chose du tout. Car cette aération est furtive, dépend des humeurs et lubies d’une « personne » aératrice, qui « alaclé ». Or voilà comment les planètes gouvernent les destinées : au moment même où Alphonse, mon ami, vissait sa casquette agricole entre ses deux oreilles , la personne qui « alaclé » décidait pour dégourdir un peu son arthrite d’aller aérer l’église. Entraînés par la même attraction sidérale, voilà le premier dans l’église, et la seconde qui aère et renferme, l’aération ne dure jamais bien longtemps. (Noter que dans une réforme récente l’église a perdu son vocable traditionnel, la paroisse s’appelant désormais « Saint Florentin de la Cime des Monts », sans doute parce que le village est sis au fond d’une vallée.)
Inutile d’insister sur la suite. Mon humaine a dû payer à la fabrique le prix d’une croix d’autel qu’Alphonse, mon très tendre ami, avait TORDUE, pensant peut-être en faire une réplique et imitation de celle que promenait toujours feu le dernier pontife. Mais tout le village s’est émerveillé à juste titre de l’intelligence et de la réflexion d’Alphonse, carissimo mio, qui a pris le coussin du siège de l’organiste (un séant et un talent d’organiste, mais ce qu’il touche, c’est un vulgaire harmonium) pour s’en faire une couche improvisée. Que d’alarmes pendant ces cinq jours ! Par quelles affres je suis passée, imaginant le pire (mon bon ami Alphonse ayant pris le train à la gare TTVMPT, très très vite mais peu – ou pas - de trains, serait allé rejoindre Jane-Odette à Paris !) Non, il n’était pas dans le pied-à-terre près du Luxembourg, mais à moins de trente mètres de moi, méditant les mystères douloureux en contemplant tour à tour les quatorze stations du chemin de croix. La personne arthritique qui « alaclé » n’a ouvert que grâce à la visite providentielle d’un couple de fiancés qui voulaient faire une répétition de mariage. C’est un événement incroyable, protocolaire et dispendieux qu’un mariage, et ceux-là entendaient assortir la couleur des fleurs à celle du salpêtre des murs. Mais depuis que leur a sauté au visage un chat hirsute, toutes griffes dehors, vêtu seulement d’une casquette marquée « roundup », superstitieux, ils ont renoncé à s’unir.