samedi 17 octobre 2009

Pourquoi je n'écris plus


Le 17 octobre
Le monde des internautes s’est ému. « Cette Kat, qu’est-ce qu’elle devient ? est-elle partie en voyage ? en pèlerinage ? est-elle même entrée en religion ? s’est-elle retirée dans un monastère myofère où la Mère supérieure l’a affectée à l’accueil des hôtes à deux pattes ? dans un ashram où toute de jaune vêtue, rasée de la tête au petit bout de la queue, elle apprend à contrôler ses muscles vagaux ? dans un béguinage où la règle douce lui autorise le lit de plumes à toute heure ? dans une maison des sciences du chat où elle trône sur un siège tournant entre un sanseveria et une machine à catnip ? Oui, que doit-on imaginer ? qu’elle a renoncé à écrire ? qu’elle écrit désormais exclusivement sur du papier ? que le mac lui brûle les pattes ? ou qu’il est en panne ? qu’elle subit une sorte de censure de la part de son humaine, soudain aigrie par le succès du blog éphémère ? etc., etc. »
Il est vrai que j’ai reçu en présent, venant d’une fameuse boutique parisienne non encore démodée, un adorable petit carnet où l’on me voit en effigie. Mais je n’y couche que mes pensées les plus personnelles, avec mes comptes, comme ont toujours fait les plus grands écrivains et même un peintre, M. Pontormo, sans s’embarrasser de l’incongruité du mélange.
« Cette K., elle nous manque avec ses réformes de l’U frappées au sceau du bon sens, ses vues originales sur la société, la culture et l’inculture, la poésie de ses évocations de la campagne, des trains, des tôles et des passereaux, l’acuité que revêt chez elle la critique sociale, la page « buanderie » où le lecteur peut suivre les efforts d’Alphonse, son ami, pour promouvoir l’art d’aujourd’hui avec une audace et une pertinence rares dans son milieu. Mais ce qui nous manque le plus (disent les lecteurs), c’est sa sincérité. »
Alors là, lecteurs, je vous arrête. La sincérité, c’est plutôt fait pour…, vous savez, ces créatures qui aiment à se promener dans la rue au bout d’une ficelle, frétillantes, reniflantes, cabotines, insupportables et toujours si prêtes à s’excuser de l’être qu’elles rendent presque odieuse la vertu d’humilité. (Non, je ne décris pas là un humain à portefeuille, mais un rogneur d’os, horresco etc.)
Je vais enfin m’expliquer sur ce long silence. D’abord, sachez que j’ai depuis quelques mois déjà quitté mon F2 de la campagne et mon tas de chiffons azuréens. J’ai retrouvé l’Urbs, le belvédère d’où j’envisage toute l’Europe, les tôles à roulettes, et maintenant la-Porte-en-travaux, travaux qui causent des embouteillages monstre, sans parler du match contre l’OM, qui nous amène aujourd’hui des foules jeunes vêtues de blanc, parlant un idiome inconnu et poussant du pied des boîtes vides. De tels spectacles, souvent, laissent l’observateur pantois.
J’ai renoncé à m’amuser en châtiant la langue, car c’est aussi laborieux que de vider la mer avec la petite cuiller qui sert chaque matin à me supplémenter en algues dentifrices. D’autant plus que l’on est parfois pris de court par des nouveautés avortées. Prenez par exemple « bis repetita ». En septembre, entendant divers publicistes employer « de façon récurrente, je dirais », cette latine locution, je me suis dit : « Ma fille, voilà un truc à épingler dans ton blog. » « Il a plu hier, et demain, bis repetita. » Une voix culturelle du matin l’employa même substantivement : « Le ministre avec cette mesure fait un bis repetita. » J’avais tort : « bis repetita » ne survécut pas à septembre, on ne l’entend plus. Bis repetita non placent.
Il se lit dans les pages sonores et disproportionnées de la presse de telles énormes sottises que j’ai résolu de faire mes griffes plutôt à côté, sur le socle du sapin odorant et agréable à l’œil – celui-là ne tardera pas à arriver, il arrive tous les ans. Je vous en donne une seulement : « Le film tiré du livre du petit ami de la maman du tueur en série récompensé par un prix. » Une autre : « Les enfants du cours moyen rencontrent les détenus seniors du quartier de haute sécurité à haute qualité environnementale dans le cadre du projet intergénérationnel de l’atelier de vie de quartier. » Tout est comme ça ou presque.
Je sais, j’aurais pu vous raconter la grande foire aux livres, la rentrée universitaire de mon humaine, le plan réussite des jeunes Héluns, la Villa Médicis livrée au groupe Accor, la grippe pandémonique et le plan de prudence, l’exposition vénitienne, la descente aux enfers et la renaissance douloureuse de M. Loriot (sans le fidèle Berlingot, qui avait eu la sagesse de s’enfuir nonobstant sa fidélité), l’alphonthéose d’Alphonse, mon adoré, à la biennale lyonnaise… J’en ai eu, des sujets d’indignation, d’amusement, de scandale, des occasions de fesser en riant, de ferrer en sciant, de me lamenter et de philosopher, finalement quand même toujours sur le meilleur fauteuil ! Ce qui m’amuse encore le plus, c’est que ne sortant jamais ou guère (à cause du mal des transports, je ne tolère que les transports célestes), et ne parlant par conséquent que de petits événements quasi-domestiques ou très confidentiels, de ce que je surprends sur mes rebords de fenêtre, des amis lointains me lisent et me comprennent. Quel émoi planétaire si j’avais narré, cet été, ma nuit sur l’unique du balcon du village (Bougnat qui m’avait poursuivie avait des intentions déshonnêtes, les propriétaires du balcon avaient des invités laisseurs de portes ouvertes et le balcon avait des volets roulants) ! Ou mes autres aventures : mes rencontres avec un grand poète, avec un grand graveur qui étaient plus qu’il n’avaient. Mais ça, je l’ai confié à mon carnet.