samedi 9 mai 2009

Le 8 mai



Rosa Bonheur, Labourage en Nivernais.

Le 8 mai
Hier, Alphonse, mon très cher ami, s’est armé de courage, a revêtu son absence de fesses d’un pantacourt très large et il est allé, selon ce qu’il m’a déclaré avant de partir, suivre un cours délocalisé dans le nymphée Gaston (et Rosa) Bonheur. J’ai eu un petit doute :
- - Tu ne veux pas parler plutôt d’un amphithéâtre ?
- - Pas du tout, écoute avant de parler. J’ai bien dit : nymphée. C’est déjà assez difficile comme ça de savoir où les cours ont lieu ou pas lieu.
- - Mais un nymphée ? un sanctuaire dédié aux nymphes des sources ?
- - Parfaitement, les sources du savoir, et même de la forme supérieure du savoir.
- - J’admire la métaphore. Eh bien cours-y, dépêche-toi… Il ne faut pas manquer une chose pareille.
Et il est parti.
Et je dois bien avouer à mon journal, fleuron des écrits du for privé au XXIe siècle, que j’ai eu un petit pincement au cœur, même si je ne suis pas la première chatte délicate à être éprise d’un bandit frisant la racaille.
Et moi je suis restée toute seule, mon humaine étant partie je ne sais où.
Alors j’ai patiné sur la toile en me morfondant, tellement morfondue, tellement soupirante, tellement envahie par la bile noire, que j’ai tapé successivement « royal canin » (horresco referens, mais ce sont les meilleures croquettes, il faut l’avouer, hélas ils n’avaient pas de nouveautés, les croquettes au thé vert et extrait de goji sont une ancienne nouveauté), puis « animal planet » (j’ai voulu acheter en ligne un collier avec papillons en strass mais mon humaine avait emporté sa carte de crédit, elle est aussi traîtresse qu’une paicresse, si l’on peut oser la comparaison), et enfin j’ai essayé avec « mobilisation ».
Alors là, je n’ai pas été déçue. Pourtant, il n’y avait rien à acheter, ni du manger ni du bling-bling.
D’abord je suis tombée sur un blog étonnant, le fond de l’écran s’est couvert de ce que les humains appellent de la « toile de Jouy » marron, de petits motifs fleuris comme il y en a aussi dans le tissu ou le papier peint de Madame Laura Ashley, très à la mode ici autrefois, et encore à la mode de nos jours dans les émirats enrichis par l’essence (ce qui va dans les tôles à roulettes). Mais c’était bizarre, car sur ce fond fleuri se sont déchaînées de petites vidéos hurlantes, des banderoles venteuses, et même un élu local qui, la bouche encore baveuse des escargots qu’il venait d’engloutir, disait qu’il fallait continuer, continuer, il faut continuer et il est du côté de ceux qui continuent, à condition qu’ils structurent un peu leur projet, ce qui est la condition pour gagner.
Puis il y avait des questions et des réponses à n’en plus finir, les controverses anorthographiques des muridés bloquants qui donnent mal au cœur autant qu’un voyage en tôle à roulettes. Il a avait par exemple un certain « Cavour 71 » qui tâchait d’arrondir les angles avec une persévérance incroyable tout en mettant de l’huile sur le feu (il a de l’avenir, celui-là, on sent à le lire qu’il a l’étoffe d’un futur professeur de classe exceptionnelle à deux chevrons), tandis qu’un certain Manteuffel ne rêvait que plaies et bosses et se faisait tancer d’importance par tous les pacifiques.
Il y avait encore, déjà ancienne, datant du début du printemps des sofas, une nouvelle d’épistémo-fiction sur l’Université en 2050, sous le régime de l’odieuse Hellérue, vouivre à sept têtes et panse de hyène. Alors là, j’ai bondi, au point que ma queue a fait chuter la livebox. Dans cette littérature, le personnage principal était « la prof » (cette féminisation était-elle l’effet de la parité ou de la paupérisation ? ce n’était pas clair), une certaine « Mère » Dupont ou Duval (quel culot !) , toute rhumatisante, qui traînait son âge et son surmenage (elle approchait les 80 ans et faisait quelque chose comme 892 heures de cours par an) dans des amphis (ou des nymphées) pas chauffés et tout déglingués (ça, je ne vois pas en quoi ce serait de la fiction). Et comme dans les histoires de loups-garous, elle n’avait plus pour étudiants que quelques fils et filles de nantis.
J’en ai lu comme ça des pages entières. J’étais si mélancolique que je n’avais même plus le courage de me traîner jusqu’à mes gamelles (en porcelaine de Paris 1830) ; c’est un signe de mélancolie, ce manque d’appétit, tout ça est écrit noir sur blanc dans le livre d’un Anglais, M. Burton.
Il existe dans cette littérature de toile une extrême diversité d’une région à l’autre, or la diversité peut remédier à la déprime. Ici, on rit et chantonne, là on ne fait qu’être grave. Ici on tourne dans le sens des aiguilles d’une montre d’ancien modèle, ailleurs on annonce pendant des semaines qu’on va tourner sur la place principale, or rien ne tourne. (D’ailleurs, Sylvestre Sylvestre m’a fait savoir qu’il a réussi, à Montpellier, en suivant obstinément une ronde avec un bidon de lait à la patte à fabriquer un fort propre fromage…) A Lyon on échange des horions, tandis qu’à Nancy on siffle. Tantôt le président préside, tantôt il s’évanouit. Dans tel endroit il convoque des vigiles, dans tel autre il annonce aux parents alarmés qu’il mourra plutôt que d’en venir à cette extrémité. Tantôt la « presse relaie », tantôt elle déforme honteusement. Etc. etc.
Quand même, j’étais dans un triste état de déréliction quand Alphonse, carissimo mio, est rentrée du nymphée Gaston (et Rosa) Bonheur.
Il avait l’air maussade.
- Et qu’est-ce que vous avez fait, dans ce sanctuaire voué aux nymphes ? Vous avez parlé de Monsieur Aby Warburg, qui les a si bien célébrées ?


Il ne disait rien. Il avait aussi l’air de souffrir d’une démangeaison.
- Mais quel était le sujet de ce cours délocalisé ?
- Euh… ce n’était pas vraiment un cours… On m’a envoyé chercher à manger. Ensuite on m’a dit de coudre…
- ???
- Oui, il y avait un grand drapeau noir et blanc avec une tête de mort d’humain et deux os. On m’a dit que c’était pour mettre un peu d’humour. Il était décousu, et je l’ai recousu.
- Toi ? coudre ? C’est bien, il faut apprendre à recoudre quand on a décousu.
(Mais ça, il arrive que ce soit impossible.)

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