mardi 28 octobre 2008

Lettres de Rome


Le 28 octobre
Il y a ce matin deux lettres d’Italie sur ma table. L’une est de Pierre-Jacques-Onésyme Bergeret de Grandcourt, comte de Nègrepelisse, timbrée d’un petit sceau de cire bleue à ses armes. Elle est datée de Rome, à l’Auberge de l’Ours, et elle commence ainsi : « « Ce matin j’ai parcouru pendant trois heures la ville à pied ; on ne peut connaître une ville que de cette façon. Je suis entré dans toutes les églises que j’ai rencontrées. J’ai vu que je pouvois me perdre et me retrouver aisément […] La ville est mal pavée de petits pavés ; on dit qu’il y a des trottoirs ; effectivement il y en a dans quelques rues, mais ils sont souvent interrompus, et je ne vois pas qu’ils servent à grand-chose. » Le comte poursuit par la description de divers monuments. Il me tarde de lire la suite du récit de son voyage, et d’apprendre ce qu’il a vu chez les artistes qui séjournent au palais Mancini.
La seconde est de mon ami très cher, Alfonso, elle est écrite sur le papier rêche qui emballe la pizza rustica al taglio, et je déchiffre à grand-peine au dos, parmi les taches graisseuses, l’adresse : « FERMO POSTA Largo Argenti… templ… républic.. »
Elle commence ainsi : « Couvent de la Trinité-des-Monts, le 18 octobre. Me voici arrivé dans la Ville éternelle, ma chère K. Et selon la règle de nos conventions, il est temps que je fasse avec vous mon petit Président de Brosses. Routes, situations, villes, églises, tableaux, petites aventures, gîtes, repas, vous saurez tout. C’est en vain que vous vous plaindrez. Vos reproches ne seront pas capables de réformer mon caquet.
Or écoutez l’histoire entière
De quelques chats de Bourgogne
Qui ont franchi les alpes fières
Pour sans la moindre vergogne
Souiller la muraille altière
Du Castel Sant’Angelone
Vous saurez comment nous partîmes de Dijon en chemin de fer palatin peu véloce et comment nous arrivâmes d’une traite sur le Pincio, chez une certaine dame patronesse nommée Marie-Losange qui régnait souverainement sur plusieurs minitels à seule fin de contrôler nos entrées et sorties. Comme elle nous menaça d’emblée de nous laisser à la porte tout marris et contraints de mendier à la porte de l’auberge voisine (elle porte un nom tudesque qui m’est sorti de l’esprit), je la gardai à l’œil, vous l’imaginez. C’est là que nous fîmes connaissance avec la Mère Supérieure, et entendîmes sur la peinture du célèbre Braghettone la plus stupéfiante, la plus renversante, la plus prodigieuse, la plus excitante des interprétations, qui nous laissa tous les pattes ballantes.
Nous eûmes les pattes antérieures et postérieures moins ballantes lorsqu’il fut question d’aller visiter nos confrères du Largo Argentina. Nous les avons vus gras à ne pouvoir sauter sur un fût de colonne, entretenus qu’ils sont par une charitable Anglaise qui a fondé pour eux une sorte d’Accademia. Hélas, il faut pour y être admis renoncer à tous ses avantages, et je crois que les charmes mêmes de leurs esprits sont quelque peu offusqués par cette mutilation, car je ne les ai entendu discourir que de nutella et de coca. »