lundi 2 juin 2008

Le 2 juin



Là, ça va mal. Où trouverais-je encore la force de ces aphorismes et gentils haïkus que je tournais la semaine passée tout en confiant tristement à mon journal éphémère mon exclusion sociale ?
D’abord, il y a eu du monde, et pas des pratiquants du développement durable ni de l’otium, c’est le moins que l’on puisse dire. J’étais pleine de bonne volonté, j’avais décidé de faire des efforts pour me montrer sociable, en signe de contrition à la suite de l’affaire des sept oiseaux jaunes. Dès potron-minet, je m’activai de la cuisine au jardin, étant continuellement « dans les jambes » des humains affairés, qui ne manquaient pas de dire : « Tu vas me faire tomber ! » avant d’ajouter : « C’est un comble, cette Krazy est tellement folle ce matin qu’elle nous fait prononcer des mots d’aïeul arthritique ! » Je sentais que je n’étais pas totalement rentrée en grâce, ces choses-là sont inexprimables. Mais je faisais contre mauvaise fortune ronron en me rappelant certaines maximes stoïciennes et évangéliques. Cependant, à l’heure de la pause prandiale d’un nourrisson, j’ai eu un choc terrible.
Je m’étais approchée de ces préparatifs désorganisateurs de maisons en pensant qu’ils me rappelleraient l’époque où répandue sur la pierre fraîche je pratiquais l’allaitement naturel avec mes six mitous en chantonnant de béatitude. J’ai été très déçue. J’ai d’abord vu un emballage de carton très épais, qui enveloppait un autre package transparent, lui-même embeddant (ce mot existe) un récipient qui à première vue contrefaisait une face d’ours. Vous qui me lisez, vous devez aussitôt vous dire : « Et là, Mlle Krazy immanquablement songe aux objets de la Kunstkammer de la Hofburg à Vienne, à tel hanap de chalcédoine en forme de tête de rhinocéros qu’elle sait être au château d’Ambras, à un nautile monté en surtout de table qui est à la Voûte verte (Grüne Gewölbe) du palais de Dresde. » Oui et non. Je n’ai pas eu le temps d’entrevoir dans ma tête ces merveilles de l’art et de la nature. Le récipient dont je parle était en plastique jaune. Les oreilles contenaient, je crois, de la compotée de racines (le fabricant n’est quand même pas assez fourbe pour employer l’expression traditionnelle « purée de carottes »), et le museau était plein, à ce que j’ai entendu, de confit de canard (je n’aurais jamais cru que ce mets fût adapté à des papilles de quinze mois). L’ensemble n’avait pas meilleure allure ni alléchant fumet que le manger d’Alphonse, mon très cher ami, quand on lui achète « des boîtes du Lidl » (la première des œuvres de miséricorde corporelle pour les chrétiens).
Je me dis que quand l’enfant sera d’âge scolaire, il coûtera très cher à la communauté parce que les rectorats d’académie devront rivaliser d’imagination pour concocter « la semaine du goût », « la semaine du commerce équitable » ou les visites coordonnées à grand renfort d’heures de concertation, d’une usine Nestlé et d’une exposition Jordaens. Je les vois d’ici, les rectorats, créer des cellules et des délégations, organiser des planques, coordonner des ressources, présenter des objectifs, bâtir des socles, concevoir des journées, favoriser des actions. Bref, il leur faudra susciter un tsunami de mesures visant à améliorer le rapport taille-poids des enfants et des adolescents, ce qui est tout de même une tâche plus digne que celle à laquelle nous convient les billevesées que M. Platon nous raconte dans ses Lois et sa République. (Tiens, est-ce un hasard, voilà que j’écris comme un médiocre étudiant de L1…)
Les hôtes sont sacrés : personne n’a osé leur dire que l’on pouvait peut-être essayer de passer un peu de rôti de veau à la moulinette, avec quelques vrais légumes ?
J’en ai eu marre, et je suis allée traîner dehors. C’est là que je l’ai entendue zinzinuler, la fauvette (voir http://www.chants-oiseaux.fr/). Elle était avec son mari, et ils m’ont fait découvrir non pas le nestlé mais le nest, installé à moins d’un mètre de haut, dans un buis. Je suis allée aussitôt ramasser un coolpix et je les ai photographiés, les cinq petits.

Il y a des dimanches comme ça, d’ennui, de mélancolie, de langueur indéfinissable, qui tournent à la tragédie.
Les fauvettes ne voulaient pas tellement jouer à la balle, elles étaient tout de suite ko. Ensuite, tout s’est passé très vite : un torchon mouillé a volé au-dessus de ma tête comme le glaive de l’ange du Seigneur dans la peinture de Masaccio à Santa Maria del Carmine, j’ai entendu des imprécations horribles. Maintenant l’ostracisme radical, je n’y comprends absolument rien.

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