lundi 21 juillet 2008

Illustres d'hier et d'aujourd'hui



Le 21 juillet
Il paraît que je suis en vacances – ou en vacance, ou vacante, vacante pour quelque chose, bien sûr, ou quelqu’un. « Toi, tu es en vacances », me répète-t-on à l’envi en me délogeant régulièrement des fauteuils principaux, particulièrement de certain profond fauteuil à oreilles. Or j’ai décidé de passer mes vacances dans le fauteuil à oreilles ; je l’ai loué pour toute la saison, et en outre pour la basse, l’arrière et la mauvaise saison. Je ne voudrais pas avoir à faire de réclamations, mais je ne vois pas pourquoi ma location de vacances devrait être déménagée sous prétexte de grand ménage compulsif, ni occupée par des derrières humains, ces séants obtus qui n’ont que faire de fauteuils audiophoniques.
Tandis que moi, il me faut un fauteuil à oreilles, car c’est là que j’ai des voix. Parfaitement, des voix, comme la Pucelle de Domrémy, que M. l’abbé Richelieu, ministre, grand homme d’Etat, avait mise dans sa galerie d’hommes illustres quoiqu’elle fût fille (ce qui prouve que cet abbé n’était pas n’importe qui).
- Mais pourquoi l’appelles-tu « Monsieur l’abbé » ? m’apostrophe-t-on. Tu sais quand même qu’il a été élevé à la pourpre cardinalice ?
- Je sais ça. Mais je ne pense pas offenser la mémoire de ce grand personnage avec un peu de familiarité. Qui sait quels noms et titres lui donnaient in petto les félins qui étaient ses familiers ? « Arrrmand…», ronronnaient-ils sans doute.
(Oh ! Dieu ! puissent ces humains me laisser tranquille ! Il faut toujours qu’ils aient le dernier mot, qu’ils fassent rugir une machine quelconque, mesurent le temps de façon maniaque et entreprennent cent projets stupides, au risque d’oublier de remplir de lait à l’eau ma tasse en vieux Longwy ; hélas, elle a été très mal restaurée, ce qui me tourmente bien.)
Donc j’ai des voix. Ou plutôt des bourdonnements, des chuchotements. Cela a commencé avec les éoliennes, dont il y a ici ce que l’on appelle un parc (tu parles !), et qui émettent des ondes plus néfastes que fastes, à l’exemple du wifi, des portables et des chauffe-casseroles à induction, sans parler de la roulotte suréquipée de « l’Eternel Bricolo ».
Je ne peux pas m’empêcher de parler ici de l’Eternel Bricolo, héros de notre temps, gloire de notre rue, incarnation des vertus de la modernité conquérante et technologique. L’Eternel Bricolo a déjà tout : plusieurs bagnoles, des quads, des motos de toutes tailles et marques, un petit tracteur, des vérandas hermétiques qui ne connaissent pas la température tempérée, des foyers à enfumer et cramer la saucisse en plein air (providence d’Alphonse, mon très cher ami, par les soirs d’été), des volets roulants automatiques après les portes, plusieurs grands plats en tôle sur le toit, une cheminée emballée en plastique bleu depuis la tempête de 1999 (de sinistre mémoire), une piste d’atterrissage en pavés autobloqués, etc., etc.
Or il y a deux ans, l’Eternel Bricolo a acquis (pour le prix d’un travers de porc) un véhicule gigantesque, véritablement hors échelle, d’une espèce presque ignorée dans la chrétienté et dont seuls les plus audacieux voyageurs dans le temps et l’espace ont pu avoir connaissance. Au demeurant, nul ne sait exactement ce que c’est. Deux écoles s’affrontent : les uns tiennent que c’est l’un de ces camions dans lesquels on faisait naguère monter les écoliers, écolières et les travailleurs, travailleuses pour les soumettre à un examen de radiologie embarquée ; les autres pensent que c’est une cabane de chantier sur roues. Quoi qu’il en soit, le monstre n’a que trois petites fenêtres haut placées, comme s’il s’agissait de dissimuler l’intérieur à la vue. (Je compte sur mon ami Alphonse pour tenter de s’y introduire, mais c’est peut-être une entreprise risquée.)
Depuis deux ans, l’Eternel Bricolo vaque à l’aménagement de cet engin qui obstrue les fenêtres de toute sa maison. L’année dernière, on a bien cru qu’il allait larguer les amarres : il s’était enfin ébranlé pesamment et malodoramment ! Hélas, ce n’était que pour aller se mettre à l’abri dans une grange voisine, pendant que l’Eternel Bricolo partait dans une authentique caravane. Au bout de trois jours, il était déjà de retour, bronzé et maugréant ; la première chose qu’il a faite, c’est d’aller chercher le monstre et de se mettre à le poncer : sssszzzzzssssssszzzzz.
Qu’en sera-t-il cet été ? L’événement dans notre rue, c’est que le monstre présente depuis hier sa poupe avec une immatriculation toute neuve et son tribord (alors que nous n’avons eu que la proue et le bâbord à contempler pendant deux ans), où s’ouvre une petite porte. J’ai aperçu Madame Eternel Bricolo gravissant un escalier en vis pour y porter un découpe-pizza électronique. Le départ est-il imminent ? Rien de plus palpitant que mes vacances !

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