vendredi 11 juillet 2008

J'écris un discours


Le 11 juillet
Alphonse, mon très cher ami (personne ne me croit capable des errances sentimentales dont mon humaine, cette indiscrète personne, a fait état récemment dans mon propre blog), Alphonse (tesoro mio), disais-je, a besoin des services de ma plume. Et pas pour lui ! Et pas pour n’importe qui ! Pour le Premier Manageur du Conseil Général ! On peut dire que sa fréquentation des valises à roulettes des élus et décideurs, il l’a rentabilisée !
En effet, son projet d’installation « live » au Musée a échoué à cause de l’humeur irascible de Loriot, et quand Loriot vocifère, on le nommerait plutôt Doriot. Tout autre qu’Alphonse se fût démonté sous le coup. Mais a-t-on jamais vu Alphonse démonté ? Les mauvaises nouvelles, les chocs affectifs, les avanies de tous ordres, les scélératesses venant d’en haut comme d’en bas, les revers de fortune, les choses coriaces à avaler (certaines lettres de refus poli sont pareilles à la peau plastifiée du saucisson), bref, le passage dans son ciel de la planète Saturne, ou pire, de la planète Pluton, laissent Alphonse impavide. Les échecs le fortifient au lieu de l’abattre. « Ce n’est pas la peine de sortir ton Plutarque ou ton Corneille, m’a prévenue Alphonse : c’est ce que l’on appelle de nos jours la résilience, dans notre langage à nous c’est retomber sur ses pattes, c’est la moindre des choses. »
Mon excellent ami a donc aussitôt mis au placard ce dossier et en a produit un autre entièrement différent. Il s’agit cette fois d’un spectacle théâtral, que dis-je, d’un festival estival de théâtre de rue. (Que l’on me pardonne cette succession de pléonasmes.)
- C’est bien tard, lui ai-je dit, pour proposer son projet. Toutes les subventions sont distribuées depuis longtemps. On n’attend après toi. (J’avais été un peu vexée par ses allusions aux grands auteurs.)
- Combien de fictions trompent cette féminine cervelle ! s’est-il exclamé.
Je repris l’avantage :
- Tu ne vas pas embêter le monde avec tes fantasmes bien connus : la grande guerre des chats contre les rats, l’harmonium, le développement durable, le tuyau, l’insecte…
- Aucunement. Ignores-tu que nos élus locaux eux-mêmes débordent d’imagination pour surprendre le public ? A quoi bon se tracasser encore pour créer, mettre en scène, répéter quoi que ce soit ? Le Premier Manageur m’a déclaré, non sans me souffler aux moustaches son haleine sentant le kir : « Alphonse, j’ai l’écrin, tu es le bijou. J’ai les bénévoles, tu es le professionnel. J’ai le faire-savoir, tu as le savoir-faire. J’ai la légitimité, tu as l’expression… » Là, il s’arrêta, ce qu’il venait de dire le dépassait.
- Et alors ?
- Alors il faut que je lui écrive son discours. J’ai les mots-clé.
- Mais le spectacle, qu’est-ce que c’est ?
- Aucune importance. Le thème, car il faut un thème, c’est « Roulettes et roulottes ».
- Oui, là au moins tu as une vraie compétence.
- Bon, écris, maintenant… Une formidable vitrine pour notre territoire…
- Je mets « incontournable », c’est mieux que « formidable ».
- Oui. Notre patrimoine revisité…
- Notre RICHE patrimoine, ou exceptionnel.
- Il faut parler de la Renaissance…
- La Renaissance ? Leon Battista Alberti, Ange Politien, tout ça ?
- Non. Il suffit de mettre que c’était une période de bouleversement extraordinaire qui annonce déjà les Lumières, le siècle 21, etc. Et là, il faudrait parler de la guerre de 14-18, parce que c’est l’autre axe des projets culturels de cette année.
- C’est dur… Bien, poursuivons.
- Et puis, ce festival, c’est un mélange de purs joyaux et de crotte de bique, il faut le dire mais pas comme ça…
- Non, bien sûr. Je vais écrire : « Donner à voir et à entendre dans le même week-end la musique ancienne et la modernité sociale, c’est le signe d’une vitalité culturelle qui fait sienne la volonté de s’offrir au plus grand nombre et aux sensibilités les plus différentes. Le Département est le partenaire naturel et sans réserves d’une telle démarche.»
- Tu ne peux pas mettre « opportunité » quelque part ? Et puis la paix à bâtir, les générations futures, le développement durable, et un autre dont je n’arrive plus à me souvenir.
- Facile ! Attends, je termine… « Roulettes et roulottes est un événement majeur dans le Grand-Est… » On ne met rien sur l’arrivée du CFHR (Chemin de Fer Horriblement Rapide) ?
- Non, ça c’était l’année dernière. Sois moderne.
- Je ne suis jamais moderne, mon cher. Il me suffit d’être actuelle et intempestive.
- … Parfait ! Ton texte est parfait !…Dis donc, je fais quand même 60 spectacles, sans parler du « off ».
- Quel prodige ! Je n’arrive pas à comprendre comment tu t’y es pris.
- Fastoche ! Il y a dans la ville bien plus de 60 matous en résidence d’artistes. Quand on est en résidence, et qu’on veut éviter d’avoir des fourmis dans les pattes, on est prêt pour la déambulation, or tous les spectacles sont déambulatoires, poétiques et de terrain. Tu viendras ?
(Oui, je viendrai, je ne manquerais cela pour rien au monde, puisque c’est l’ouvrage d’Alphonse, mon inimitable ami.)

Aucun commentaire: