samedi 21 janvier 2012

Tous en biais !


21 Janvier 2012
Le temps a passé. Le monde s’agite, un tourbillon autour de moi. Je demeure, l’Ombilicale enfourrurée des Lampes Laides, la Bloggeuse en plusieurs langues numaines sur cinq continents et divers dos de canapés, la Rêveuse spasmodique du plein midi et du noir minuit, l’Audacieuse exploratrice de l’escalier principal, du vestibule en chef et du vice-vestibule adjoint, Princesse des tapis et des amphis, Terreur des souris chinoises, des élus majoritaires et des hôtes des humanoïdes des cabanes, Sujet de personne mais d’inquiétude dans les cabinets, Âme resplendissante, frissonnante et ténébreuse de la rue dite du Vieux satrape polonais dans la Ville renaissante à la voirie périlleuse, autrement dit Gadin-City, auquel l’Univers entier envie ses événements, son Barbet morose et son Dos de canard, les innommés bien nommés qui ne vont qu’en tandem, comme les macarons.
Donc je demeure, et même me revoici.
Vous-êtes vous livrée à l’auto-censure ces derniers temps ? demanderez-vous.
La réponse est : oui, je n’arrête pas, et n’ai pas l’intention d’arrêter. Depuis que je m’auto-censure, je suis littéralement une autre, et je renais.
En neuf vies, on a le temps de faire toute sorte d’expériences, et l’auto-censure en est une que je recommande de temps en temps. Ce n’est pas une méthode qui fait à proprement parler maigrir, encore que j’aie noté quelque diminution de certaines rondeurs à ma périphérie, telle que si je tenais absolument à me présenter aux suffrages de la Nation, je pourrais l’envisager, faute d’autre programme (à part la suppression immédiate de la SPA, l’envoi dans la légion étrange des humains-à-thermomètre, et la nomination comme brigadiers dans l’infanterie de montagne de plusieurs metteurs en scène d’opéra et d’expositions d’art ancien).
Vous vous interrogerez encore : en quoi consiste cette auto-censure ? N’est-ce pas trop douloureux pour vous de renoncer à votre liberté de parole légendaire, à vos coups de griffes ravageurs, à votre bonne humeur communicative, à l’adulation de vos adulateurs, à vos parodies dévastatrices ? Renoncez-vous vraiment de bonne grâce à châtier la sottise, la cuistrerie et l’instrumentalisation idiote des meilleures choses de la vie ? L’existence et les médias ne vous apportent-ils pas tous les jours de nouveaux sujets d’ébaudissement ?
Je n’ai pas envie d’en parler, vous dirai-je... Il faut laisser de l’espace à tous les énormes culturels, faute de quoi ils explosent comme les gaz trop longtemps comprimés. Ma muse me commande de tolérer bénignement ces ventrus, même et surtout quand ils promènent leur charme adipeux dans les plates-bandes des siècles qui me sont chers. J’adore donc leur entichement pour les clés pendantes, les meneaux, les rinceaux, etc. Je me doute bien que leur soudaine passion pour les plans orthogonaux et les « villes-neuves renaissantes » doit moins à l’inspiration du célèbre Dinocratès qu’aux conseils pervers et peut-être même du trinkgeld de quelque marchand de béton de bureau habillé de bois durable. Je suis un peu dans la perplexité au sujet de leurs coûteux projets d’animations costumées des rues, pour lesquelles il suffirait sans doute de convoquer les supportères de quelque équipe de balle au pied batave (au moins ceux-là ne feront pas mentir les poncifs « renaissants » sur les caractères des nations, ils illustreront au plus haut degré d’alcoolémie les assertions de Monsieur Barclay sur les buveurs de bière des Pays-Bas du nord comme du sud). Mais j’admire, j’admire... Ils sont si passionnés !
« Monsieur Barclay écrivait en 1614 », me fait remarquer mon numaine.
(De quoi elle se mêle, celle-là ?)
« Mais ma chère Krazy, tu deviens légèrement vulgaire », insiste-t-elle. (« Martèle »-t-elle, selon la parlure des journalistes accrédités.)
Non, pas vulgaire : je me mets à la portée de tous. Je ne veux pas de ces discours pour érudits. « Les conservateurs, je m’en moque », comme dirait Dodcanarrh. 1614, c’est la pleine renaissance, l’âge d’or de la renaissance renaissante, l’époque grandiose, là où ça se prépare, l’humanisme et la citoyenneté, et même les lumières et tout, l’esprit nouveau qui souffle.
« N’oublie pas que le 23 mai 1618, c’est la défenestration de Prague et le début de la guerre de Trente Ans », continue cette ratiocineuse en jupons.
Je ne réponds rien à cela. Je tiens à ma renaissance longue, longue, indéfinie, qui va au moins jusqu’aux prochaines élections municipales, après quoi peut-être, nouveau mandat et célébration du néo-gothique, c’est bien le néo-gothique, c’est juste après les lumières, c’est romantique, durable et citoyen, et l’on pourra recycler les costumes renaissants des animations costumées précédentes.
« Bon, je vois que tu es encore sous l’influence de ton astre, le dénommé Alphonse, amore tuo, désormais chargé renaissant de mission, après m’avoir laissé la Buanderie dans un état déplorable... »
Pour ceux qui ne comprendraient pas, il faut se reporter aux épisodes précédents, où l’on vit Alphonse (♥), directeur atristique du centre d’art la Buanderie, graviter dans les ministères à la faveur du TGV (Train pour Grands Virtuoses), fréquenter les Biennales et les Quadriennaux, et finalement faire dans la com, comme on le voit par son dernier chef-d’œuvre, le logo des renaissants de VRVP (Ville renaissante à la Voirie Périlleuse), autrement dite Gadin-City.
Voilà le chef-d’œuvre.
N’est-ce pas un chef-d’œuvre ?
« Tu trouves ? » me demande cette sceptique professionnelle.
Où est-il allé chercher ça ? Il y en a sous sa casquette d’ex-rappeur ! Je me demande combien de ducats il a reçu pour cette énorme cogitation. On voit qu’il a longuement médité la littera textualis formata, les Tory, Garamond, Jenson et autres as de la belle lettre. Re avec le e qui a l’air de vouloir prendre son essor, comme c’est beau ! Nais comme une forte injonction, un aboiement. San qui intrigue, plein de sens, de sang mais aussi de manque, donc de désir. Ce, épidictique, puissant. Puis le tiret et le point, admirables de concision, qui s’opposent et pourtant se relient, se poignent et cependant se tirettent, quelle dialectique subtile ! Et ce pourpre un peu magenta, qui joint la splendeur du coquillage antique à l’évocation d’une palette moderne, voire à l’anticipation de l’événement néo-gothique de 2020.
« Que veux-tu que la bataille de Magenta vienne faire là-dedans ? » s’étonne ma philosophe en chambre.
C’est vrai, mon exégèse est un peu exagérée. Mais l’enthousiasme est une possession par le dieu, et devant ce logo imaginé par Al . Phon - Se, my god, je n’en peux plus, je ne me retiens plus.
« C’est si vrai que tu t’es mise au point de croix », observe cette personne malintentionnée.
Oui, je brode maintenant. J’espère présenter quelque chose au concours du bureau touristique de Gadin-City, et au grand colloque renaissant intitulé « Plus on rit, plus on est de disciplinaires internationaux ».
« Regarde-toi, quand même », me fait observer cette cruelle.
Car en brodant au point de croix le logo d’Alf, j’ai attrapé vertiges, torticolis, tortitaille ; je me suis démis l’épaule et j’ai commencé à loucher. Pas étonnant, il a été inspiré, comme tout le reste, par ceci.

Aucun commentaire: