lundi 4 février 2008

Le 4 février



C’est souvent lorsque je me trouve à la g. r. (pas la gare routière mais la garde-robe, sauf respect), que je prends connaissance des nouvelles du monde. Enfin, ce ne sont pas des nouvelles nouvelles, ou si l’on préfère « de nouvelles nouvelles », puisqu’un nouvel usage veut que l’on place maintenant le qualificatif adjectif avant le substantif, à l’exemple de nos anglais voisins. Les Anglais ont leurs raisons pour placer le qualificatif adjectif avant le substantif, nous non.
Donc ce ne sont pas des nouvelles nouvelles que je lis pendant que je m’occupe d’économie intérieure (ou d’intérieure économie) dans ma t. h. (toilet house). Ce sont d’anciennes nouvelles que j’aperçois dans mon cagibi, dans les journaux de la veille et de l’avant-veille, qui profitent d’un bref répit, condamnés qu’ils sont à « la benne de la rue du Baron Prosper Guerrier de Dumast » jusqu’à laquelle je ne me suis jamais aventurée, mais qu’Alphonse, mon très cher ami, visite de temps à autre et où il a trouvé récemment un harmonica en état de marche, à défaut de maquereaux au vin blanc.
Et que vois-je dans le journal local d’hier ? « Carla Bruni a déclaré lors d’une interview : ‘Je suis une amadoueuse ! Je suis une chatte !’ »
J’en ai tremblé de tous mes membres. Et moi ? Ai-je jamais déclaré à un journaliste : « Je suis une frotte-manche ! Je suis la première dame de France ! » ?
Du calme, ai-je aussitôt pensé. Premièrement, elle n’a pas dit : « Je suis une chienne ! » Deuxièmement ayons un peu d’imagination. Mettons les choses dans l’ordre. Supposons que la nouvelle Madame Sarkozy, dans sa t. h. en plastique doré, concentrée sur des problèmes d’intérieure économie, regarde autour d’elle. Ses yeux tombent, dans son cagibi, sur les journaux en attente dela benne de la rue des Saussaies. Elle enlève ses lunettes de soleil et elle lit : « Mlle Krazy a déclaré lors d’une interview : ‘Je suis une frotte-manche ! Je suis la première dame de France !’ »
Et alors ?
Alors rien.
J’espère que mon humaine ne va pas s’en formaliser, elle qui m’a fait une scène la semaine écoulée, raison pour laquelle je n’avais pas le cœur à écrire.
- Ton blog, c’est bien beau, a-t-elle ronchonné, mais les étudiants qui lisent ça, et il y en a quand même une poignée, n’en sont pas plus édifiés. Alors que je m’efforce à longueur de cours…
- … et de séminaires, l’ai-je interrompue en me moquant un tout petit peu.
- … de leur montrer que les œuvres de l’esprit nous font accéder à une vie plus haute, nous façonnent, nous nourrissent, etc., etc.,toi tu déraisonnes, tu tournes tout en ridicule.
- Et qui m’a appris à le faire ? ai-je répliqué. Quand je suis arrivée chez toi, m’asseyant un matin sans façon à la table du déjeuner petit, je n’avais que mon diplôme de d’agréée nourrice. C’est bien toi qui m’as fait lire coup sur coup Félibien et Molière, Marsile Ficin et La Fontaine, saint Jean de la Croix et Georges Colomb.
- L’abbé de Saint-Cyran en même temps que Hugo Pratt, vas-y, ne te gêne pas. Et puis arrête avec ces adjectifs, tu es agaçante, à la fin.
Nous étions parties pour une bonne controverse.
- J’en conviens, reprit-elle, tu as remué tes méninges avec une ardeur que l’on souhaiterait à plus d’un apprenant. Mais je veux dire qu’à présent tu as des lecteurs, tu ne peux plus te contenter de ton idiosyncrasie féline, tu as des responsabilités. Par exemple tu dois entretenir ton public de…
- De quoi ? Des beautés de l’art ? Pléonasme ! De la grandeur des civilisations ? Lieu commun ! De la créativité des créateurs ? Il y a pour cela des sites, des revues, des livres, le prêt-à-porter et la confiserie en une seule boutique. Et l’esprit critique, le doute, tu en fais quoi ?
Elle ne répondait rien. Mais comme si elle voulait décidément me tourmenter, elle demanda :
- Eh bien, ton « petit monde », tu ne le trouves pas un peu réduit ?
- Tu veux que je traverse la rue ? que je me fasse aplatir par une tôle à roulettes ? (Je sais l’apitoyer.)
- Non, certes.
- Que je fréquente sans toi les cafés ? (Je sais la surprendre.)
- Pas davantage.
- Que je parle de ce que je n’ai pas lu, que je raconte une exposition Clouet au Kamchatka, pour être bien sûre que personne ne l’aura vue ? (Je sais l’amadouer, lui frotter la manche.)
- Il y aura toujours quelqu’un qui l’aura vue, tu sais, celui qui n’a rien vu, mais qui par hasard aura vu l’exposition Clouet au Kamchatka.
Bref, nous étions d’accord, comme souvent. Pour me consoler, elle m’a emmenée dans le vaste monde, voir et entendre un opéra de 1629 racontant l’histoire du jeune homme qui a vécu sous une montée d’excalier (ou une descente, je ne sais plus), c’était magnifique. Tellement beau que je n’ai plus envie de poser les yeux sur le moindre journal.

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