lundi 28 janvier 2008

Le 27 janvier


Il y avait déjà les routes de campagne, les carnets de campagne, les plans de campagne, les tenues et les parties de campagne (« scampagnate » en italien), les maisons de campagne et bien sûr le pâté de campagne (« pasticcio » ?) Il y a maintenant les « blogs de campagne » et même les « weblogs de campagne ». Pas un candidat à la consultation électorale municipale du mois de mars qui n’ait son blog de campagne. Avec Alphonse, mon très cher ami, qui est en ce moment un peu las de l’art, parce qu’il n’a encore reçu aucune subvention pour LA BUANDERIE, nous avons voulu voir ce qu’il en est. Et je peux tout de suite annoncer : il n’y a là-dedans que du pasticcio, du pastiche.
Pour avoir le champ libre et l’ordi à nous, j’ai recommandé à mon humaine de profiter du beau temps et d’aller « marcher » (ces humains qui se croient au sommet de l’ordre de la nature sont capables de marcher sans aucun but pendant des heures). Elle nous a donc laissé la garde de la maison et elle s’en est allée pendant que nous lui faisions mezzo voce un petit duo miaulique sur l’air de « There is a happy land, far, far away… » Nous avons vu d’abord que « Site-de-campagne.com » propose à partir de deux cents euros « votre site électoral clés en main ». Ensuite, un peu au hasard, nous avons musardé de page en page. Alphonse n’a pas cessé de comparer ces blogs de campagne au mien, pour le dénigrer :
- Tu devrais mettre une photo de quand tu étais plus jeune ! Et tu dois sourire ! Et il faut commencer par ta bio ! Et pourquoi ne pas mettre la vidéo où l’on te voit partager ta pâtée avec Lazare le jour de sa Toison d’or et qu’il dit, la bouche pleine : « Ma chère Krazy, j’adhère à votre projet » ? Et ça manque de couleur, de mouvement ! On devrait voir des vélocipédistes, la campagne à la ville, la ville à la campagne, des trolleybus, des chats ailés, alliés, ralliés : « Chers amis bloggers », « La plus belle des aventures », « La vie, la ville », « Participez au projet », « Écrivez-nous ». Les gens, tu dois les faire rêver !
- Je croyais que tu aurais montré un peu plus de mordant. Tu me déçois beaucoup. Tu ne comprends pas à quel point cette propagande est pesée au milligramme près, emballée sous plastique et congelée ? C’est pitoyable.
- Pas du tout, lis les commentaires ! Regarde comme les gens réagissent bien.
- Tu deviens fou ? Ils répètent comme des perroquets les bêtises que leur serinent divers médias. Et ces biographies édifiantes avec leurs passages rappelant que les éligibles sont comme tout le monde, qu’ils ont des enfants et parfois des même des parents (mais moins souvent), qu’ils rient quand on les chatouille, qu’ils voient avec plaisir deux douzaines d’humains se disputer une balle, qu’ils déjeunent dominicalement en famille avant une petite promenade digestive. Tiens, tout ça me dégoûte. Il n’y en a pas un seul qui par exemple, se vanterait de posséder un théâtre privé, une collection d’estampes, de peintures anciennes ou de livres rares fabuleuse, une maison d’édition ouverte seulement à la poésie et aux récits de voyage ; qui se flatterait d’avoir restauré un château magnifique, publié une correspondance diplomatique en 44 volumes, de connaître neuf langues, d’avoir passé deux ans de sa vie à photographier les steppes de l’Asie centrale (ce qu’il en reste) ; d’avoir réalisé ou produit des films sur des plantes, sur des cailloux, des coutumes bizarres ; d’écrire une fresque dans le genre des Rougon-Macquart, de jouer « vraiment » d’un instrument, de monter sur les planches pour de bon ; de faire des choses pour le plaisir. As-tu les lettres d’amour de M. Clémenceau, d’abord ?
Je vis bien que ces arguments commençaient à perturber Alphonse. Mais je n’allai pas plus loin : s’il lit ces lettres, il est capable de les recopier et de les envoyer à cette Jane-Odette. L’ombre de la jalousie n’eut pas le temps de s’étendre dans mon esprit, heureusement. Mon humaine rentrait…

1 commentaire:

itosh a dit…

merci de ce regard félin et acéré, qu'à l'occasion peut-être,mais d'une plume moins alerte, nous pourrons croiser avec celui des deux lapins qui vagabondent en mon jardin d'Arcy...