jeudi 10 avril 2008

Le 10 avril




Si la lecture des journaux ne peut plus guère être assimilée à une « prière quotidienne », comme disait certain philosophe allemand, en revanche elle offre à l’observateur des mœurs de ce siècle une litanie proprement stupéfiante d’invocations à la divinité Bêtise, qu’il est fort injuste à l’égard des droits de l’espèce bovine de décrire, à la suite de M. Charles Baudelaire, avec un « front de taureau ». Mais « énorme », oui, d’accord.
Hier deux chiens de la race la plus dangereuse, dont j’ai oublié le nom fort long à consonance anglo-saxonne, vagabondaient sans collier, menaçants, dans la ville. (Combien je suis heureuse d’être bien à l’abri, occupée que je suis avec Alphonse, mon très cher ami, à concevoir deux expositions ou plutôt installations - plutôt qu’une - dans l’appartement de mon humaine !) Bref, soudain les deux molosses (il y en a un en photo, une photo qui le montre plus avantageux que redoutable) s’en sont pris à un caniche ou ci-devant barbet tenu en laisse par son maître et en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, l’ont mis en pièces sous les yeux des badauds terrorisés. La police a réussi à « abattre » l’un d’eux, provoquant une grande émotion populaire et un attroupement qui a paralysé la circulation à une heure de pointe. L’autre, qui a été cerné dans le jardinet d’un riverain (pauvre jardinet, malheureux riverain) par une brigade canine sera probablement « euthanasié ». En effet, lorsqu’une cagne de ces espèces interdites attaque un humain et que le fonctionnaire commis au maintien de l’ordre a le cran de le neutraliser, on écrit qu’on l’ « euthanasie ».
A une époque où la plus grande confusion règne dans l’opinion sur les questions de morale en général, quel peut être l’effet sur les lecteurs de cet emploi aberrant d’un mot que le Petit Larousse (majesté incontestée des bibliothèques d’usage) définit comme « une pratique visant à provoquer la mort d'un individu atteint d'une maladie incurable qui lui inflige des souffrances morales et/ou physiques intolérables, spécialement par un médecin ou sous son contrôle ». Assurément, les plumitifs intrépides qui sévissent dans les journaux n’ont retenu que la fin de cette acception, à supposer qu’ils l’aient vérifiée.
Si les lecteurs raisonnent, et il n’y a pas de raison de penser qu’ils ne raisonnent pas, postulat qui déjà me donne assez mal à la tête, comment n’en infèreraient-ils pas que la cagne irréductible doit être supprimée à cause de ce qu’elle pâtit ? De ses remords insupportables peut-être ?
Lu encore deux autres trucs moins graves, qui ne sont pas comme celui-ci inexcusables mais qui me laissent un peu perplexe : l’hôpital des nounours et les enfants au Parlement. Des étudiants de 2e et 3e année de médecine passent au scanner des ours en peluche et simulent des opérations chirurgicales sous prétexte de dédramatiser l’hospitalisation aux yeux des enfants. Un député laisse sa place au Palais-Bourbon pendant toute une journée à un enfant élu par ses camarades.
- Mais ça ne fait de mal à personne, me dit justement Alphonse.
- C’est juste un peu puéril, intervient Lazare.
- Poussez-vous, grogne Sylvain Sylvestre, que je voie quel effet aura mon effigie en forme de limace confrontée à « La Dame au masque » du sieur Callot.
- Et ma photo dans la valise du député, je la mets dans la bibliothèque ? s’inquiète Alphonse.
- Oui, et mets-y la légende : « Bonne journée à vous », d’après le message de rupture de Jane-Odette. (Et toc !)

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