lundi 14 avril 2008

14 avril


Il y a, comme dit le vieux Danielo à la fin du « Rivage des Syrtes », le très beau roman de Julien Gracq (Paris, José Corti, 1951, p. 308), « un vif amusement » à voir « l’homme ployé » quémander une place, ou même l’aumône d’un coup d’œil. C’est ce que j’ai pensé en voyant un méchant homme (son cou redressé à la perpendiculaire tellement son échine était ployée) tâcher tout à coup de se pousser dans les parages d’un savant de très haute réputation.
En effet, l’autre jour, on me conduisit gentiment à la Maison de Ville afin de me faire prendre l’air de la société, et il y avait là une infinité de caractères fort divers, dont les ambitions, les ressentiments, les jalousies, les satisfactions se répandaient comme des vapeurs ou essences très intimes, mais qu’il m’est donné, comme chacun sait, de percevoir avec une extrême acuité.
Ce méchant homme hésita d’abord, ne sachant s’il allait s’approcher et se faire connaître, suant la peur d’être éconduit (bien que cela n’arrive jamais avec ce grand savant). Enfin il s’avança lentement, cauteleux, avec coincé aux lèvres un rictus servile qu’il croyait être le comble de la déférence naturelle. Se souvenait-il d’avoir souvent méprisé ouvertement, avec ses pareils, et dans les termes les plus vils et lâches, le grand savant et son enseignement ? Mais c’est qu’il entrevoit à présent quelque rogaton à ronger. Et si l’on n’y prend garde, il rongera l’humanisme comme il a rongé les Croisades, la Réforme catholique et les Lumières (surtout éteintes).
Mais suffit là-dessus. Je viens de lire « en fraude » un passage de la troisième – et hélas, dernière – partie de l’autobiographie de Gregor von Rezzori, « Murmures d’un vieillard » (Paris, éditions du Rocher, 2008), le récit parfaitement ironique et parfaitement déférent d’une conférence de M. Habsbourg (Otto) à Vienne en 1990. Il me semble que j’y étais ! Mais oui, j’y étais, dans une autre vie de chatte paneuropéenne !
- Comprenne qui pourra, a conclu Alphonse, mein Liebling.

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