lundi 17 mars 2008

Le 17 mars


Décidément, je ne suis jamais dans le vent de l’histoire : hier soir, à l’heure où les résultats des élections tombaient, un livre mal rangé m’est presque tombé sur la tête, et c’était « André Chénier, Œuvres complètes ». N’ayant pas la force de le remettre à sa place – certains penseront peut-être que ma « debolezza » était due auxdits résultats -, j’ai entrepris de le lire, tout en me faisant la réflexion que si ç’avait été le livre de John Gage sur les couleurs, je ressemblerais à l’heure actuelle au petit collet de fourrure d’une chaisière, dépouille même pas panthéonisable (« Qu’est-ce que c’est qu’une chaisière ? » me demande Alphonse, mon très cher Ami, actuellement penché sur mon omoplate.)
Je ne l’ai lâché, ce livre, qu’à cinq heures du matin, qui est l’heure où d’ordinaire me prend une petite faim. C’est dire que je l’ai lu à fond, pas seulement « La Jeune Captive » et « La Jeune Tarentine » (celle-là m’a fait faire un cauchemar terrible, c’est triste de tomber d’un yacht aussi bêtement), mais encore des fragments d’odes et d’élégies, des articles sur la chose publique, des lamentations sur les excès des sociétés patriotiques, des ébauches, des bucoliques inachevées, des épîtres et que sais-je encore.
Il existe des blogueurs, des plumitifs, des publicistes et des polygraphes qui parfois, accablés de tâches, au lieu d’écrire, recopient d’interminables passages d’autres auteurs, avec l’excuse mensongère de les commenter. Je ne voudrais surtout pas les imiter, les ayant souvent âprement critiqués, mais de mes veilles à la lumière d’une lampe, je veux néanmoins rapporter ceci, cette exception, sous le titre « De la cause des désordres qui troublent la France et arrêtent l’établissement de la liberté ».
« Il existe au milieu de Paris une association nombreuse qui s’assemble fréquemment, ouverte à tous ceux qui sont ou passent pour être patriotes, toujours gouvernée par des chefs visibles ou invisibles, qui changent souvent et se détruisent mutuellement ; mais qui ont tous le même but, de régner ; et le même esprit, de régner par tous les moyens. Cette Société, s’étant formée dans un moment où la liberté, quoique sa victoire ne fût plus incertaine, n’était pourtant pas encore affermie, attira nécessairement un grand nombre de citoyens alarmés et pleins d’un ardent amour pour la bonne cause. Plusieurs avaient plus de zèle que de lumières. Beaucoup d’hypocrites s’y glissèrent avec eux, ainsi que beaucoup de personnages endettés, sans industrie, pauvres par fainéantise, et qui voyaient de quoi espérer dans un changement quelconque. Plusieurs hommes justes et sages, qui savent que dans un Etat bien administré tous les citoyens ne font pas des affaires publiques, mais que tous doivent faire leurs affaires domestiques, s’en sont retirés depuis. D’où il suit que cette association doit être en grande partie composée de quelques joueurs adroits qui préparent les hasards et qui en profitent ; d’autres intrigants subalternes à qui l’avidité et l’habitude de mal faire tiennent lieu d’esprit ; et d’un grand nombre d’oisifs honnêtes, mais ignorants et bornés, incapables d’aucune mauvaise intention, mais très capables de servir, sans le savoir, les mauvaises intentions d’autrui. » (Alphonse, mon ami toujours obligeant me dit de préciser ici : « Toute ressemblance entre cette situation - février 1792 – et l’actuelle serait évidemment pure coïncidence. »)
La suite : « Cette Société en a produit une infinité d’autres : villes, bourgs, villages en sont pleins.[…] Tant qu’ils les gouvernèrent, toutes les erreurs de ces sociétés leur parurent admirables, depuis qu’ils ont eux-mêmes été détruits par cette mine qu’ils avaient allumée, ils détestent des excès qui ne sont plus à leur profit.[…] Ces Sociétés délibèrent devant un auditoire qui fait leur force ; et si l’on considère que les hommes occupés ne négligent point leurs affaires pour être témoins des débats d’un club, et que les hommes éclairés cherchent le silence d’un cabinet ou les conversations paisibles, et non le tumulte et les clameurs de ces bruyantes mêlées, on jugera facilement quels doivent être les habitués qui composent cet auditoire ; on jugera de même quel langage doit être propre à s’assurer leur bienveillance. […] Ce gouvernement, dont chaque jour ils embarrassent la marche, ils l’accusent chaque jour de ne point marcher… »
- Etc., etc., tu n’as pas peur de te présenter ainsi à la vindicte des brigands à talons rouges et des brigands à piques ? me demande Alphonse. Où veux-tu en venir ? Vraiment, nous vivons dans un Etat libre et bien ordonné, as-tu vu tant de fripons pendant ces dernières électionsqu’il te faille exprimer ton ressentiment avec une telle énergie ? Ce n’est pas parce que tu as peur, comme nous tous, des humains qui sont réunis et qui crient que tu dois t’emporter avec ce M. Chénier, qui vivait à une tout autre époque que la nôtre !
- Mais tout citoyen a la devoir d’attaquer de front ce qu’il juge être pernicieux, n’est-ce pas ? Je n’ai pas dit avoir observé ces dernières semaines « cette terreur des bons, et cette audace des méchants » qui conduisit M. Chénier sur l’échafaud. Ce serait fort exagéré. Mais comme lui, je suis fatiguée des brouillons qui crient partout que la patrie est en danger, de tous ceux qui prospèrent sur la chose publique « comme des chenilles sur des arbres fruitiers » (pouah !), j’ai vu plus de passions déchaînées que d’honnêteté publique, et entendu plus de dogmes verbeux que de raisonnements, et cela me déplaît. Ajoute à cela le grand désintérêt de la moitié de ces humains pour le droit de voter, que l’on peut aussi bien appeler devoir.
- Tu m’étonnes ! Tu sais ce que les maîtres de la jeunesse enseignent depuis une génération en guise d’éducation civique ? Un exemple : la jeune fille d’en-dessous, qui est en quatrième, m’a dit avoir à faire un « dossier sur l’homoparentalité ».
- Bon. Ce n’est pas toi qui vas l’avancer beaucoup.
(Je ne sais pourquoi, il est vexé.)

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