vendredi 27 février 2009

Alphonse prend ses responsabilités


Le 28 février


Nous avons sur les pattes et les bras Alphonse, mon très cher ami, à qui est arrivée une horrible mésaventure.
Alphonse, tesoro mio, a comme on le sait une propension particulière à mettre les tarifications embrouillées de la SNCF en coma dépassé, autrement dit à prendre le train sans payer. Si l’on s’en souvient, et je suis sûre que certains de mes lecteurs s’en souviennent, sa technique consiste à repérer à l’heure du premier TGV (Train Gouvernemental et Virtuose) la valise à roulettes d’un élu local et à se glisser entre le pyjama et le dossier. Des expériences répétées l’ont amené, non pas à visiter la capitale (ou si peu), mais à réunir une importante documentation sur le caractère « pérenne » de l’adultère et l’escalade vertigineuse de l’inculture dans les deux chambres.
Je lui ai souvent dit que ces escapades finiraient mal. (D’autant que dans un arrondissement branché de la capitale, il y a une certaine Jane-Odette que j’abhorre spécialement.)
Là, ça a failli très mal finir.
Alphonse ne s’était pas réveillé assez tôt pour se faufiler dans le Trop Génial la Vitesse !, ayant paressé dans je ne sais quel LAP (Local A Poubelles). Au début de l’après-midi, il avise une réunion relativement nombreuse, cent ou deux cents humains, dont il décide que ce doivent être des décideurs parce qu’ils ont l’air de se connaître entre eux mais que certains parlent plus fort que les autres et leur disent avec une grande amabilité : « Cause ! Toujours tu m’intéresses ! » Il croit entendre que l’on élit ceux qui montent à Paris pour la cordinationale, et le voilà qui monte subrepticement dans ce qui lui paraît être une valise à roulettes, une belle grande noire extrêmement luxueuse, « une sorte de Mercédès de la valise » (d’après ses critères qui sont incertains et depuis qu’il a entendu, fasciné, mon humaine parler d’une acquisition récente nommée « la Rolls du vide-pomme », comme si Alphonse, mein Liebling, ou moi d’ailleurs, pouvions prendre quelque intérêt aux pommes au four). Bref, le voilà enfermé dans une sorte de boîte oblongue et obscure, dans le noir aussi noir que s’il était le fameux pauvre chat de Schrödinger, sauf que dans la Mercédès de la valise, il n’y avait ni atome radioactif ondulatoire, ni compteur Geiger, ni fiole de poison (heureusement, en fin de compte.) Il sent que ça ballotte, lentement, lentement, au son d’une cantilène où il parvient à distinguer, dit-il, quelques mots comme « bouffe, traîtresse, sarcome, gueule, rabais, chercher les beaux en rut, moche, bosse, vozenfan », sans parvenir une seule seconde à comprendre de quoi cela s’agite. Soudain, stop ! Le cortège semble marquer une pause. La Mercédès pile net, et Alphonse (mon petit cœur), doit freiner des quatre pattes pour ne pas être précipité contre les parois de la valise. Il se reprend suffisamment et il entend : « Le comte de Chabanes, qui connaissait la sincérité de cette belle princesse, ne put se défendre de tant de charmes qu’il voyait tous les jours de si près ; il devint passionnément amoureux, et, quelque honte qu’il trouvât à se laisser surmonter, il fallut céder et l’aimer de la plus violente passion qui fût jamais. » Voilà, pense-t-il, tout s’explique, en fait je dirais que la princesse a trouvé un beau en rut.
- Épargne-moi, je te prie, ton album de contrepèteries et ton éloquence journalistique.
- Krazy, tu n’y étais pas, laisse-moi poursuivre. Tu restes toute la journée sur coussins et ignores ce qui se trame in der weite weite Welt. Tu fais tes 128 heures annuelles de studium venandi et le reste du temps tu pantoufles ringardement.
- Erreur ! fais attention, je suis moi aussi très chatouilleuse sur la question de mon emploi du temps ! Tu n’ignores pas que l’EEC (Emploidutemps d’Enseigneur-Chassant) est devenu un genre littéraire à part entière depuis quelques semaines, qui a conquis journaux et blogs. Là se révèle à la population profane le secret de la vie de l’EC, jusque là bien gardé.
- Oui, je sais. Il mène une vie de fou, il travaille bien plus de 80 heures hebdomadaires, il lui arrive de recevoir un jeune mitou pendant une demi-heure pour discuter de son sujet de mastère ! de consacrer des semaines au plan Plan ! Le lecteur qui n’y comprend goutte le suit pourtant à la trace dans un labyrinthe sans joie.
- On se demande d’ailleurs pourquoi il a déployé tant d’énergie, marché sur sa dignité et sur sa paix avec autant de persévérance, si c’était pour vivre un tel cauchemar, sans parler de la paie dérisoire, des décrets qui vous glacent le sang, de l’avancement qui recule et de la schizophrénie torturante où le précipitent l’angoisse et le désir simultanés d’être évalué par ses pairs, ses pépères et ses mémères.
- L’EEC a de l’avenir, intervient mon humaine. Mais laisse Alphonse raconter, lui qui va sur le terrain.
- Merci M’dame, réplique Alphonse avec un brin d’insolence.
(Il faut dire que pendant ce récit, Alphonse, caro mio, est au lit et encore assez mal en point.)
- Raconte, Alphonse, quand le cercueil figurant l’U s’est ouvert en deux devant le président de la Région.
- Ah, arrête, je le verrai toujours, celui-là, faisant des signes de croix redoublés en voyant jaillir un black cat ! Et comme il n’avait pas d’exorciste dans son organigramme, il a appelé la police. Et elle m’a coursé, coursé…
- Et te voilà !

(Et puis lisez ça : http://www.lemonde.fr/archives/article_interactif/2009/02/24/l-iufm-ce-que-l-education-nationale-a-de-pire_1159878_0.html
)

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