mardi 22 janvier 2008

Le 22 janvier


Je sais mieux que jamais, depuis hier, ce que sont des notes infrapaginales. Et le vétérinaire, mon ennemi tout de blanc vêtu, le sait « presque », lui aussi. Que l’on ne s’étonne donc pas si je suis d’une humeur exécrable. (Lazare m’a fait remarquer qu’à l’exception de rares specimens qui parlent élégamment de leur « acedia » ou délectation morose, les humains disent généralement qu’ils sont de « mauvais poil ».)
En effet, il a « presque » fallu appeler ce praticien (le vétérinaire, veux-je dire) afin de panser mon ornement caudal qui a « presque » été écrasé par l’effondrement des livraisons d’une revue pseudo-scientifique dont je tairai charitablement le nom. Je dirai seulement que le directeur de cette revue, quand il a choisi la couleur de la couverture, avait probablement à l’esprit quelque affreuse déjection. Je demande : pourquoi l’histoire de l’art n’est-elle pas obligatoire dès le cours préparatoire ? Peut-être que cela briserait net le devenir scolaire d’un être qui est capable de choisir une maquette pareille.
Ces livraisons ont proliféré dans le bas fort obscur d’une bibliothèque où je séjourne volontiers les après-midi d’hiver. Or elles sont inrangeables. C’est grand, mou, aberrant de format, glissant. Si vous les voyiez s’affaisser les unes sur les autres, le n° 4 comptant toujours sur le n° 3 pour soutenir sa flemme, et le n° 3 sur le n° 2 ! Mon humaine a bien essayé de les coucher en piles, puisque la station debout leur répugne. Rien à faire, dans ces piles ils se vautrent, s’étalent comme humains enduits d’huile solaire sur une plage (pourtant peu d’endroits sont aussi abrités du soleil), lui glissent des mains comme anguilles (bien que l’on n’ait jamais vu d’anguilles dans une bibliothèque) et même on a vu le papier lui couvrir les mains de longues estafilades. Elle ne se résout pas à s’en débarrasser. Une fois, elle s’est désabonnée, mais on a continué à les lui envoyer. Je demande donc : pourquoi n’y a-t-il aucune contraception pour certaines revues.
Je dois reconnaître qu’elle les avait « rangées », c’est-à-dire mises par ordre chronologique. Les piles n’ont aucune affinité élective avec l’ordre chronologique, j’ai remarqué cela. Surtout, avec les piles, il est difficile de ne pas enterrer tout en-dessous les livraisons les plus anciennes, datant des anciens rédacteurs en chef, les uns et les autres moins insupportables que les récents et récentes, par la couleur, par l’esprit, par tout. Il en résulte que l’on consulte plus volontiers ces numéros anciens, dont le papier est d’ailleurs plus amical, un peu pelucheux, ce qui correspond à leur contenu probe et amène. Mais que ce sont quand même les nouveaux qui ont le dessus, eux que l’on ne manipule qu’avec irritation et que l’on ne cite jamais dans les notes infrapaginales. A force de siestes longues et « récurrentes » (mais au cours desquelles je ne récure rien du tout), suivant une expression chère aux étudiants de mon humaine (et vraisemblablement aux autres aussi), j’ai très bien observé les problèmes de ces revues. On m’aurait confié un audit là-dessus que ça n’aurait pas été mieux, d’autant plus que ma motivation est puissante à l’égard des revues, garantes de mon espace vital. Et je demande à présent : pourquoi ne faisons-nous pas partie, nous autres, du comité supérieur d’évaluation des revues scientifiques de l’European Science Foundation ? (La réponse est : ils ont là-haut d’autres humains à fouetter.) Autre question : pourquoi mon humaine s’encombre-t-elle de revues qui ne sont même pas répertoriées par le comité supérieur d’évaluation des revues scientifiques de l’European Science Foundation ? (La réponse est : parce qu’elle a plus d’égard pour la science bien ou mal fondée que pour les chats européens.) Nouvelle question : pourquoi ne relie-t-elle pas ces livraisons en maroquin d’une belle couleur ? (Réponse plausible : parce que le caca rente est dit-on en train de baisser.)
Pour en revenir à ces notes infrapaginales, je tremble encore au souvenir de l’instant où l’une de ces piles, au lieu de glisser au ralenti comme dans la célèbre tectonique des plaques, et de laisser à ma somnolence le temps d’un réflexe salvateur, a soudain basculé violemment, déséquilibrée qu’elle avait été un peu plus tôt par cette humaine frénétique pourchassant « une référence », histoire de mettre une note de plus en bas d’une page remplie de futilités.
- Bien sûr, toi, sur ton blog, tu n’as pas l’ennui de ces notes, de ces index et de ces résumés, m’a-t-elle dit en me prenant dans ses bras.

Aucun commentaire: