dimanche 13 janvier 2008

Le 5 janvier


Le 5 janvier
A nouveau Alphonse, mon très grand ami, a pris le TTV (train très véloce) ! Et à nouveau dans le bagage d’un élu ! Cette fois, il s’agissait d’un sénateur chargé de la Culture ! La technique d’Alphonse est désormais parfaitement au point : il se pointe à la librairie ferroviaire « Respite », guette l’élu et pendant que celui-ci effeuille les tabloïds à la recherche des colonnes qui le célèbrent, il fait prestement glisser la fermeture à glissière et s’engouffre dans l’espace laissé libre entre la brosse à dents et la brosse à reluire. Il n’a plus qu’à se laisser rouler dans Paris sur les roulettes du petit véhicule. A l’arrivée, il a juste les oreilles cassées par le roulement et les reins un peu meurtris.
Le sénateur a pris possession d’un agréable pied-à-terre rue de Vaugirard et s’est rendu aussi sec à un rendez-vous tandis qu’Alphonse, se désincarcérant à force de griffes, se trouvait sur une épaisse moquette pâle, nez à nez avec une créature de notre genre nommée Jane-Odette, une très bavarde bobtail japonaise.
- Ne reste pas planté là, lui a-t-elle dit aussitôt, viens donc avec moi voir l’expo Archie Boldo. Après, on ira chez Ladurée, ils ont de nouveaux Whiskas.
- Tu es sûr, très estimé Alphonse, l’ai-je interrompu, que ce n’est pas « Arcimboldo » Giuseppe (1526-1593) ? Mon humaine a vu cette exposition, et pendant qu’elle y était, j’ai lu derechef plusieurs livres sur ce peintre si original et sur la cour de l’empereur Rodolphe II, toutes choses d’ailleurs fort bien connues du public cultivé depuis les travaux de cet Américain, le professeur Thomas DaCosta Kaufmann.
Je sentais la jalousie me pointiller quelque peu et commençais à me revancher en étalant mes connaissances, expédient nul en pareil cas, comme chacun sait ou plutôt ne sait pas, puisque les sentiments nous font toujours retomber dans les mêmes ornières.
- Certes, a répondu Alphonse, mais je ne crois pas que nous parlons de la même chose. Jane-Odette m’a emmené dans une galerie de la rive gauche où un plasticien roumain, Archibald Grigurescu, bénéficie du mécénat de la branche infision pour le foie de l’Oréal pour faire des installations avec des primeurs d’après le portrait de Rodolphe en Vertumne. C’était une présentation privée, et…
Je ne le laissai pas continuer, j’étais submergée par l’émotion. Je n’y comprenais rien ! Je le sentais s’éloigner de plus en plus de moi et de notre petit monde familier. Qu’était-ce qu’une « infision » ? qu’une « installation » ? Fallait-il absolument en passer par ce jargon pour mener à bien son projet de la BUANDERIE ?
- Laisse-moi poursuivre, a repris mon ami Alphonse. (Oui, vraiment un très bon ami.)
- Mais, mais…
- Ecoute-moi, te dis-je. Tu ne devineras jamais qui j’ai vu dans cette galerie. Le sénateur ! Alors Jane-Odette m’a présenté, elle a dit que j’étais son « pote », que j’avais un vécu super, des tas d’idées, qu’« en fête » je pourrais développer le concept d’Archie Boldo en région, si seulement on me donnait un petit coup de pouce. Mais le sénateur, il n’avait pas l’air « en fête » du tout, il n’était pas emballé, il était soucieux…
- Il avait d’autres xxx à fouetter, sans doute. Mais pourquoi dis-tu toujours « en fête », « en fête » ?
- Je ne sais pas, tout le monde le dit.
- Raison de plus pour ne pas le dire. Et alors, comment es-tu rentré ?
Alphonse était un peu penaud. Je pense d’après l’odeur « sui generis » de son pelage rêche qu’il a été bien content de trouver un camion qui allait de Rungis à notre « région ».
- Et ton humaine, qu’est-ce qu’elle en a dit, de la véritable exposition Archi…blondo… ?
- Arcimboldo Giuseppe (1526-1593) ! Elle a été très contente de revoir les tableaux qu’elle connaissait, mais ils n’étaient pas toujours bien éclairés. Il y en avait qu’elle n’avait jamais vus, par exemple un qui n’avait jamais été exposé, une très belle allégorie synthétique des Saisons, que le peintre avait voulu offrir à son ami le poète Comanini. Les objets du cabinet impérial de l’art et des merveilles sont d’ordinaires visibles à Vienne, mais ils étaient très bien choisis, et c’est toujours un tel plaisir que ce mélange de la peinture avec d’autres objets de délectation et d’étonnement ! Et puis les projets pour les fêtes, les dessins sur l’élevage des vers à soie, que l’on n’avait jamais vus qu’en reproduction !
- Il n’y avait pas trop de monde ? a demandé Alphonse presque timidement. J’ai vu la file s’étirer tout autour du grand jardin qui est près de ce palais du Lustembourg.
- Du Luxembourg, qu’on dit ! Bien sûr qu’il y a la foule dans ces expositions. Je crois savoir qu’il y a beaucoup d’enfants. Les parents prétendent montrer en détail à des putti de deux ans tout au plus les effigies de toutes ces archiduchesses. Au bout d’un quart d’heure, ils sont tous excédés et les têtes composées les font soupirer après une expo de cucurbitacées en plein air.
- Alors ils n’avaient qu’à aller voir l’enfer de la TGB, a cru bon de répliquer mon pauvre cher Alphonse.
Et moi :
- Cette Jane-Odette, à la longue, tu aurais compris qu’elle n’était pas ton genre…

Aucun commentaire: